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guerre, et « le tonnerre de la langue perse » — on croirait entendre les Turcs de Prévésa ou de Lépante — roule en grondant au-devant des Hellènes. Voguez ! voguez ! généreux champions sur lesquels l’Europe et l’Asie ont les yeux, les proues aux trois dents vont bientôt s’enfoncer dans la chair vive des galères. Les Grecs tout à coup ont levé les rames, la vogue se retourne, et, d’un mouvement aussi rapide que celui qui les portait en avant, les trières, fendant l’onde par la poupe étonnée, se rapprochent à force de bras du rivage. « O Athéniens ! jusqu’où ferez-vous reculer vos poupes ? » C’est la voix de Minerve elle-même qui vous reproche une manœuvre bien faite pour encourager l’audace et pour favoriser l’élan de l’ennemi. Les dents serrées d’airain s’ouvrent, il est vrai, comme une mâchoire béante devant les Perses, le rivage se garnit d’une longue rangée de lances et de javelines, des monceaux de galets vont voler en l’air si l’ennemi fait mine de vouloir forcer ce double rempart. La position est forte. Minerve cependant attendait mieux des Grecs ; il est évident que les Grecs ont résolu de se tenir jusqu’à nouvel ordre sur la défensive.

Les incidens jouent un grand rôle dans la guerre navale. L’amiral De Grasse a livré le combat de la Dominique pour préserver d’une capture imminente le vaisseau le Zélé. Les Grecs rompent involontairement leur front de bataille pour voler au secours d’Arminias de Pallène. Dans le mouvement de retraite, Arminias est resté en arrière, et un vaisseau perse vient de l’aborder. En un instant, la mêlée est devenue générale. Les Athéniens ont trouvé des adversaires dignes de leur courage, car ce sont les Phéniciens que le sort a placés devant eux. Les Phéniciens occupent l’aile occidentale, du côté d’Eleusis. Les Ioniens sont à l’aile opposée, du côté du Pirée ; ils ont en face les Péloponésiens. On doutait de la fidélité des marins de l’Ionie, et le cœur de ces hommes de race hellénique devait en effet incliner en faveur de la Grèce ; mais une fois l’action engagée, une fois les premiers coups reçus, les Ioniens, aussi bien que les Phéniciens, s’animèrent au jeu. Les mêlées ont cela de bon que les défections en masse y sont impossibles.

Où est la bataille à cette heure ? Partout, d’un bout à l’autre du front des deux armées. Quelle en sera l’issue ? Il est difficile de le pressentir. Assis sur son trône, au pied du mont Ægalée, en face de Salamine, Xerxès n’aperçoit plus dans la baie qu’un désordre affreux. La bataille est devenue une série de combats particuliers. Théomestor et Phylace, deux Samiens, prennent des vaisseaux grecs ; Polycrite dïSgine coule un vaisseau de Sidon. Artémise se fait jour à travers les navires qui l’entourent. Dans la chaleur du combat, son éperon ne distingue plus les amis des ennemis. Le vaisseau que monte le roi des Calyndiens, Damasithyme, sombre