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de métaphores et d’hyperboles ; « il est tout vantardise. » Il provoque le danger éloigné et s’effraie du danger présent ; il possède tout au plus les qualités brillantes du paladin, mais non la prudence et la fermeté d’un homme sage et résolu ; son principal héros n’est pas un général, c’est un preux. « Dans tous les temps, dans tous les lieux, vous les trouverez toujours semblables, faits de poésie et de sable mouvant, à la tête faible, aux impressions vives, curieux et crédules, aimables et intelligens, mais dépourvus de génie politique. Leurs destinées n’ont pas changé : telles elles furent autrefois, telles elles sont aujourd’hui. » Ce jugement est sévère, souvent injuste[1], qu’importe ! Quoiqu’il n’ait pas été fait sans malice, je crois qu’il faut l’accepter sans rancune. S’il est triste de songer que nos défauts sont si anciens et que le temps a été si impuissant à nous en corriger, on éprouve aussi une certaine joie à savoir qu’il y avait des Français longtemps avant qu’il n’y eût une France, que notre race est si vieille, et qu’elle a jeté de si profondes racines dans le sol qu’elle occupe que les invasions du dehors ont glissé sur elle comme une pluie d’orage. Il me semble que cette antiquité d’origine n’est pas seulement une satisfaction d’amour-propre, mais qu’elle affermit l’esprit national. Quand on songe que ce pays que nous habitons nous a toujours appartenu, on s’en regarde davantage comme maître légitime ; on se trouve mieux disposé à le défendre, et plus assuré de le garder.

La Gaule eut pourtant à traverser une épreuve grave où il semble que son originalité aurait dû se perdre : après la victoire de César, elle devint romaine. Ce sort fut celui de l’Occident tout entier ; la langue, les mœurs, les usages de Rome s’y répandirent aussitôt après la conquête et s’y acclimatèrent très rapidement. Ce ne fut pas le vainqueur, comme on le dit d’ordinaire, qui força les vaincus à l’imiter, à vivre et à parler comme lui, mais les vaincus qui se précipitèrent d’eux-mêmes vers cette imitation, et qui voulurent devenir Romains à toute force. La civilisation romaine ne s’imposa donc pas au monde avec brutalité, écrasant tout ce qui se trouvait au-dessous d’elle ; elle ne recouvrit que la surface, et laissa vivre tout ce fonds d’idées et d’habitudes qui distinguait chaque race lorsqu’elle était indépendante. Aussi, sous cette apparence uniforme de l’empire, qui trompe un observateur léger, dès le premier siècle, les nationalités différentes commencent à se montrer. Elles ne reviennent pas à leur ancien idiome, qu’elles ont abandonné sans

  1. Ceux qui veulent savoir ce qu’il y a de vrai et de faux dans les affirmations de M. Mommsen n’ont qu’à lire le second volume de la Géographie de la Gaule romaine, de M. Ernest Desjardins, qui vient de paraître. C’est l’étude la plus complète et la plus intéressante qu’on ait faite encore sur l’état de la Gaule au moment où elle fut conquise par les Romains et sur la guerre qu’elle soutint contre César.