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l’imagination ou de la poésie au lieu de la réalité. » Ces principes excellens, M. Lagrange ne s’est pas contenté de les exprimer, il les a suivis, et son livre est certainement le plus exact et le meilleur qu’on ait fait sur saint Paulin.

J’y trouve pourtant un défaut qu’il était peut-être difficile à M. Lagrange d’éviter : il est naturel, quand on écrit un ouvrage d’édification, qu’on soit tenté de faire son héros le plus édifiant possible. On veut qu’il prêche et moralise sans cesse ; il faut qu’on puisse tirer des leçons de ses moindres paroles et de ses actions les plus simples. De là un désir, auquel on ne résiste pas aisément, de le présenter toujours dans une attitude grave et solennelle. C’est ce qu’a fait M. Lagrange ; il a surtout cherché saint Paulin dans ses lettres, qui sont écrites en général à de grands personnages de l’église et contiennent ordinairement des dissertations théologiques ou des exhortations pieuses. Ses poésies, adressées à un public plus familier, ne sont pas tout à fait du même ton ; sans doute il y prêche encore beaucoup, mais il s’y met plus à son aise, il ose y être plus franchement lui-même. Sa dévotion s’y montre avec une nuance de finesse, de naïveté, de modération, de bonhomie, que M. Lagrange n’a pas effacée sans doute, mais qu’il n’a pas non plus, à ce qu’il me paraît, assez fait ressortir. Je vais reprendre, après lui et avec son aide, cette aimable figure, et retracer surtout les traits sur lesquels il me semble qu’il n’a pas assez appuyé.


I

Ces qualités, que je veux faire ressortir, n’appartiennent pas à saint Paulin tout seul ; elles étaient celles des gens au milieu desquels il vivait et dont il ne faut pas le séparer. J’ajoute qu’il les tenait aussi de son pays, où elles ont été de tout temps communes, et qu’elles nous aident à soupçonner en quoi la vieille Gaule ressemblait déjà à la France. C’est un sujet important pour nous, et l’on me pardonnera de le traiter avec quelque complaisance.

Il faut que nos bons aïeux n’aient pas été des gens très dissimulés, ni fort habiles à cacher leurs qualités et leurs défauts, pour que le vieux Caton, qui ne les aperçut guère que de loin, en traversant la Cisalpine et la Narbonnaise, déjà plus qu’à demi romaines, les ait si bien dépeints en deux mots : « Ils excellent, dit-il, à se bien battre et à parler avec esprit. » César, qui les vit de plus près et qui passa dix ans à batailler avec eux, nous les fait encore mieux connaître. M. Mommsen, dans son Histoire, s’est donné le plaisir de montrer combien le Gaulois de ce temps, tel que le décrit César, ressemble au Français d’aujourd’hui. Il a déjà la parole redondante