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M. Ferri a publié en même temps une notice nécrologique étendue sur un de nos anciens collaborateurs, Joseph Ferrari, mort récemment à Rome. Lui. aussi, il était venu, sinon faire ses premières études, du moins prendre le plus haut grade universitaire, le doctorat, à Paris. Nommé professeur à la faculté des lettres de Strasbourg, il en avait été éloigné en 1842 pour certaines témérités de doctrine ou de parole. On se rappelle sa polémique avec Gioberti en 1844 ici même. La fécondité d’esprit, la facilité d’assimilation et de conception, l’abondance de vues, le flux de l’expression se montrent à chaque page de ses nombreux écrits dans son Histoire des révolutions d’Italie, dans son Essai sur le principe et les limites de la philosophie de l’histoire, dans sa Filosofia della revoluzione. Ces mêmes qualités, dont quelques-unes, poussées à l’excès, peuvent devenir des défauts, expliquent le très grand succès qu’avait sur les auditoires sa parole ardente, et les conclusions extrêmes auxquelles il s’est laissé entraîner. « Dans le temps même, dit son biographe, où l’Italie s’agitait au cri d’indépendance, et rêvait une fédération sous la présidence d’un pontife réformateur, il préparait ses deux volumes sur la philosophie de la révolution, contraires à tout dogmatisme quelconque, à celui de la raison comme à celui de l’église, contraires à toutes les idées qui se partageaient alors l’enthousiasme politique des Italiens, y compris celles de Mazzini, qui, comme on le sait, ne sépara jamais de son concept démocratique l’idée de Dieu. Le scepticisme métaphysique et religieux de ce livre, publié la première fois en 1851, s’unissait à une forte teinte de socialisme, et annonçait pour l’avenir la proposition d’un changement radical dans l’idée et dans le régime de la propriété. Avec de telles dispositions d’esprit jointes à des habitudes d’expression paradoxale, Ferrari resta isolé des mouvemens italiens qui se produisirent en 1848 et 1849. Il n’était ni avec les royalistes de Charles-Albert, ni avec les guelfes de Pie IX, ni avec les républicains de Mazzini. Quoique plus voisin de ce dernier parti que des autres, il s’en tenait éloigné par sa conception d’un système fédératif. Quand l’Italie préparait son unité, il la croyait encore divisée entre guelfes et gibelins. Rentré dans sa patrie, élu député, il combattit pendant six législatures le parti modéré… » Ses concitoyens ont fait la part de son intempérante ardeur et se rappellent surtout aujourd’hui, — son biographe tout le premier, — ses incontestables et brillantes qualités d’esprit et de cœur, son honnêteté de caractère et sa douceur de mœurs.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.