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d’un poste à d’autre, sans souci des balles qui se croisaient dans la cour, encourageant les hommes par son exemple, nous appelant par nos noms, disant à chacun de ces nobles paroles qui réchauffent le cœur et rendent le sacrifice de la vie moins pénible, et même agréable, au moment du danger. Avec de pareils chefs, je ne sais rien d’impossible.

Vers onze heures, il venait de visiter le poste de la chambre et lui-même avait reconnu qu’on n’y pourrait plus tenir longtemps, quand, regagnant la réserve, il fuit atteint d’une balle en pleine poitrine ; il tomba en portant la main sur sa blessure. Quelques-uns de nous coururent pour le relever, mais le coup était mortel ; le sang sortait à flots de sa poitrine et ruisselait sur le sol. Le sous-lieutenant Vilain lui mit une pierre sous la tête ; pendant cinq minutes encore ses yeux hagards roulèrent dans leur orbite, il eut deux ou trois soubresauts convulsifs, puis son corps se raidit, et il expira sans avoir repris connaissance.

Quelque temps avant de tomber, il nous-avait fait promettre que nous nous défendrions tous jusqu’à la dernière extrémité : nous l’avions juré.

Sur ces entrefaites, la chambre était évacuée. Les Mexicains, à coups de crosse, étaient parvenus à enfoncer une porte intérieure qui unissait cette pièce aux autres du rez-de-chaussée et d’où ils fusillaient nos hommes à bout portant ; ceux-ci furent contraints de se retirer, mais de quatorze qu’ils étaient au début, il n’en restait plus que cinq qui allèrent renforcer les divers postes de la cour.

Le sous-lieutenant Vilain prit le commandement qui, comme titulaire, lui revenait de droit ; petit, fluet, les cheveux blonds frisés, presqu’un enfant, il sortait des sous-officiers et n’avait que six mois de grade ; un brave cœur du reste, et qui ne boudait pas devant le danger.

La défense continua. Les Mexicains étaient maîtres de la maison tout entière, mais ils ne jouirent pas longtemps de leur avantage. Embusqués dans la cour, nous dirigions contre toutes les ouvertures un feu si vif et si précis qu’ils durent quitter la place à leur tour, le premier étage d’abord, puis le rez-de-chaussée. Dès lors ils n’y reparurent que par intervalles et en petit nombre : ; mais à peine une tête, un bras, un bout d’uniforme apparaissait-il dans l’encadrement d’une porte ou d’une fenêtre qu’une balle bien dirigée châtiait cette imprudence.

Vers midi, on entendit au loin la voix du clairon. Nous n’avions pas-encore perdu tout espoir et nous pûmes croire un moment que des Français venaient à notre secours ; déjà même, frémissans de joie, nous nous apprêtions à sortir du corral pour courir au-devant de nos camarades : soudain battirent les tambours, ces petits