Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les joues de la tendre pucelle, tu traverses l’immensité des mers, pas un immortel n’échappe à ta puissance, et tout homme, dans le cours terrestre de sa vie, devient ton prisonnier. » Ce que Voltaire un jour devait traduire à sa façon par deux vers narquois bien français, bien du temps en leur épigrammatique concision :

Qui que tu sois, voici ton maître,
Il l’est, le fut, ou le doit être.


Le roman d’Apulée se termine comme un conte de fée : « Vulcain cuisinait, aux fourneaux, les Heures empourpraient tout de roses et d’autres fleurs, les Muses chantaient en chœur, un satyre jouait de la flûte, et un élève de Pan accompagnait avec son chalumeau. C’est ainsi que Psyché passa juridiquement sous la puissance de Cupidon, et il leur naquit, au bout de neuf mois, une fille que nous appelons Volupté. »

Comédie ou ballet, la pièce de Corneille et Molière a tout à fait le caractère d’un conte de Perrault. Vous diriez de l’antique emprunté à la bibliothèque bleue, quelque chose comme une féerie à laquelle l’Olympe, avec ses dieux, servirait de cadre, une Cendrillon mythologique par exemple. En effet, c’est la même histoire, des deux côtés vous avez les méchantes sœurs conspirant la ruine de leur cadette, et des deux côtés l’aventure finit par d’illustres noces, avec cette simple différence que Cendrillon épouse un prince, tandis que Psyché se marie avec un dieu. Il ne tiendrait qu’à moi de proclamer chef-d’œuvre cet intermède en cinq actes, dû à la collaboration de Corneille et de Molière. Je m’en garderai bien et pour cause. En France, quand nous parlons de nos poètes du XVIIe siècle, c’est toujours le chapeau à la main, et dans une attitude d’humilité béate dont il semble que les courtisans du roi-soleil nous aient légué la tradition. Où conduisent de tels partis pris, et pourquoi ne point parler de ces grands hommes familièrement et tout à son aise, comme on parle des contemporains ?

Ah ! ma sœur, c’est une aventure
A faire perdre la raison,
Et tous les maux de la nature
Ne sont rien en comparaison !


S’il arrivait à quelqu’un d’aujourd’hui d’écrire de pareils vers, nous l’enverrions tous se faire siffler à l’Opéra-Comique ; et pourtant ces méchans vers sont de Molière, et la pièce de Psyché est écrite presque tout entière dans ce style :

Ah ! cherche un meilleur fondement
Aux consolations que ton cœur me présente,