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et de ses pieds de rose effleurant la surface humide des vagues onduleuses, elle s’assied, et son char s’avance sur la nappe azurée du profond océan. Les divinités de la mer s’empressent de l’entourer de leurs hommages. Ce sont les filles de Nérée chantant en chœur, et Portune avec sa barbe bleuâtre et hérissée ; c’est Salacia chargée de poissons dans les plis de sa robe ; c’est le petit Palémon qui dirige un dauphin ; ce sont les troupes de tritons qui bondissent de tous côtés sur les mers ! Celui-ci tire des accords mélodieux d’une conque sonore ; celui-là, avec un tissu de soie, repousse les ardeurs d’un soleil importun ; un autre tient un miroir sous les yeux de la déesse ; d’autres soulèvent, en nageant par-dessous, son char à deux coursiers. Tel est le cortège qui accompagne Vénus allant rendre visite à l’Océan. » Tout cela s’appuie de plus près sur l’antique ; vous êtes au pays d’Homère, sinon chez lui, et en même temps vous pressentez le Raphaël de Galatée. Voyez comme les deux peintures se font écho : la Vénus océanide, Galatée, est assise dans sa conque traînée par deux dauphins qu’elle même dirige ; un triton enlace de ses bras nerveux la nymphe qui l’accompagne, et devant elle chevauche sur son coursier marin la plus adorable des sirènes. Galatée se montre à nous de face, et, ses cheveux dénoués, ses voiles flottans, promène sur l’humide plaine un regard humide. C’est groupé, rendu, enlevé d’inspiration. En présence d’un si éclatant témoignage, comment douter que la perfection soit de ce monde ? on ne discute pas, on est entraîné. Cette poésie de l’Océan poursuivit Goethe jusque dans ses vieux jours, et sa Galatée de la deuxième partie de Faust n’est autre que la Galatée de Raphaël. Nous n’en finirions pas à vouloir relever chez Goethe tous les élancemens et paroxysmes de cette passion pour l’antiquité. Par momens, c’était du délire ; au moins peut-on remarquer qu’il en perdait toute indépendance de jugement à l’égard des autres arts. Ce qu’il y a de certain, c’est que, si pour sauver du naufrage la seule Noce aldobrandine, il lui avait fallu sacrifier tout ce qui s’est peint en Italie depuis Cimabué jusqu’à Francia, Pérugin et Fra Bartolomeo, son choix n’eût pas été douteux. Michel-Ange définit la peinture antique un bas-relief ayant en plus la perspective et remplaçant le modelé matériel par le jeu combiné de la lumière et des ombres. Les premiers plans et les lointains, que le bas-relief se contente d’indiquer d’une manière enfantine, de symboliser en quelque sorte, ici deviennent une vérité pour notre œil ; grâce à la couleur, se répand sur l’ensemble une vie nouvelle, et cette couleur n’est elle-même que la remise en vigueur d’un essai adopté et presque aussitôt sagement abandonné par la statuaire arrivée à son point culminant. Les anciens l’entendaient ainsi, et leurs fresques, qui sont des bas-reliefs perfectionnés,