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au contraire des forêts, des landes, des marécages, de vastes terrains improductifs. On comprend que ces derniers soient moins lourdement frappés que les champs fertiles du moujik. Dans les provinces du nord, où le sol est pauvre et la population rare, les grands domaines ont même souvent peine à acquitter les faibles impôts dont ils sont frappés. Là où les contributions provinciales sont souvent arriérées, la majeure partie de cet arriéré tombe fréquemment sur les grands domaines et les grands propriétaires. Ainsi en est-il par exemple dans les districts de Peterhof, de Schlusselbourg, de Novaïa-Ladoga, de Tsarskoé-Sélo du gouvernement de Pétersbourg[1]. Dans les riches terres noires du sud en effet les propriétés peuvent être imposées proportionnellement à leur étendue et à leur valeur ; dans le nord, au contraire, où faute de fertilité ou faute d’habitans, le sol n’a souvent par lui-même aucune valeur, il n’en saurait être de même. Ainsi s’explique comment dans le gouvernement de Perm, par exemple, les paysans acquittent à eux seuls plus de la moitié de la contribution foncière, bien que sur 30 millions de déciatines soumises à l’impôt ils en possèdent à peine 6 millions. Là où la propriété individuelle et la propriété communale sont mieux partagées, la proportion des charges s’équilibre ou se renverse avec le rendement même des terres. Dans le gouvernement de Tauride, par exemple, les paysans émancipés qui possèdent plus de 5 millions de déciatines ne sont taxés par le zemstvo qu’à 256,000 roubles, tandis que les 3,400,000 déciatines de terres non communales paient 307,000 roubles.

Dans les années qui ont précédé la dernière guerre, le taux moyen des contributions provinciales était d’environ 8 kopeks par déciatine sur l’ensemble des terres soumises à l’impôt ; pour les biens des paysans, la moyenne s’élevait à plus de 12 kopeks par déciatine[2]. Ces taxes provinciales seraient légères, elles pourraient même aisément être accrues, si elles ne s’ajoutaient à des impôts déjà lourds et parfois écrasans.

Il n’y a par malheur qu’un petit nombre de provinces où, comme dans le gouvernement de Riazan, la contribution foncière soit assise sur le revenu du sol. Dans la plupart des gouvernemens, les terres sont seulement rangées en plusieurs catégories soumises à un impôt gradué. On sait qu’il n’y a pas encore de cadastre en

  1. Il faut dire aussi que, si les paysans s’acquittent plus régulièrement de leurs taxes, c’est que vis-à-vis d’eux les procédés de perception sont beaucoup plus rudes que vis-à-vis des citadins et surtout vis-à-vis des propriétaires. Les moyens de perception varient comme l’impôt avec chacune des trois classes, et l’une des préoccupations les mieux justifiées de certains zemstvos est de faire cesser cette inégalité.
  2. Le kopek, centime du rouble, vaut au pair 4 centimes du franc.