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fonctionnaires de la couronne et les états provinciaux ; c’est le sénat qui tranche définitivement le débat. L’on ne saurait blâmer la loi qui confie ce rôle d’arbitre à la haute cour de justice, si les cas de conflits étaient plus strictement limités et si la plupart des affaires dévolues au zemstvo n’avaient besoin d’une prompte solution.

Comme toutes les décisions des états provinciaux peuvent être arrêtées par le veto du gouverneur et que ces assemblées n’ont régulièrement qu’une session annuelle, ’l’administration est maîtresse de retarder d’une année au moins l’exécution de toute mesure qui n’est, pas à son gré. A cet égard, rien ne limite la volonté des fonctionnaires impériaux : la loi les érige en juges des votes du zemstvo en déclarant le gouverneur libre de s’opposer à toute résolution qui lui paraît contraire aux vrais intérêts de l’empire. Il suffirait d’une formule aussi vague pour mettre les états provinciaux dans la dépendance du bon vouloir des fonctionnaires. Par une sorte d’interversion des rôles, les assemblées territoriales, qui semblaient créées pour contrôler la bureaucratie et le tchinovisme, se trouvent ainsi placées sous la tutelle de l’administration. Les états provinciaux ne sont même pas entièrement assurés de la force que donnent aux assemblées délibérantes la publicité et l’appui de l’opinion ; les débats des zemstvos sont publics ; mais les comptes-rendus des séances ne peuvent être publiés qu’avec l’approbation du gouverneur. Si la parole est libre, elle ne peut sortir de l’enceinte du zemstvo qu’en se courbant sous le joug de la censure.

Le plus grand obstacle à l’activité des zemstvos n’est pourtant point l’étroitesse de ces restrictions légales. Le droit de veto est un de ceux dont gouverneur ou souverain ne saurait user et abuser sans cesse, on le garde naturellement pour les grandes occasions. Si les tshinovniks se plaisent parfois à entraver l’œuvre des zemstvos, c’est le plus souvent moins par une opposition formelle aux décisions de l’assemblée que par mauvais vouloir ou apathie dans leur exécution. Les états provinciaux ne disposent, en effet, d’aucun moyen de faire exécuter les mesures qu’ils ont le droit de voter ; ils n’ont d’autres organes, d’autres agens que les agens et les organes du pouvoir central. Pour l’exécution de la plupart de leurs décisions, ils restent ainsi dans l’entière dépendance du gouverneur de la province[1]. Ce n’est point encore là le principal embarras des zemstvos. Il est des fonctionnaires assez soucieux, du bien public pour leur prêter un loyal concours ; mais alors même qu’elles sont sincèrement, secondées par les

  1. On peut à cet égard consulter dans une des dernières livraisons de la Revue des sciences politiques de M. Bezobrazof, une. récente étude de M. Gradovsky.