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que les nouvelles institutions provinciales en aient singulièrement réduit le rôle et la compétence au profit d’assemblées communes à toutes les classes. Pour être membre des assemblées de la noblesse, il ne suffit pas d’être noble, il faut en outre, aujourd’hui comme ayant l’émancipation, une double qualité : être propriétaire dans le district ou le gouvernement, et avoir un rang, un tchine civil ou militaire, ou, ce qui compte pour le tchine, un grade universitaire[1]. Dans ces assises de la noblesse russe devaient ainsi se retrouver les deux traits historiques, les deux faces apposées du dvorianine russe, à la fois fonctionnaire et propriétaire. Il y a pour les réunions de la noblesse un cens électoral fondé naguère sur le nombre de serfs, et aujourd’hui sur la valeur de la propriété ; mais ce cens, destiné à relever le seuil de ces assemblées, était singulièrement abaissé en faveur des tchinovniks et des hauts fonctionnaires. En outre, les assemblées de la noblesse n’avaient pas le droit de s’enquérir de la moralité des hommes qui entraient dans leur sein. Les employés, concussionnaires siégeaient ainsi au milieu des témoins et parfois des victimes de leurs prévarications. De tels spectacles n’étaient pas faits pour relever la dignité du premier ordre de l’état et l’autorité de ses assemblées.

Les réunions de la noblesse avaient jadis pour principal but la nomination des fonctionnaires et des magistrats dont le choix lui était réservé. Aujourd’hui ces assemblées n’ont presque plus d’objet pratique. Il ne reste à leur nomination que leur président ou maréchal de la noblesse (predvoditel dvorianstva) ; il ne reste à leur décision que des affaires d’une assez mince importance, comme la tutelle des nobles mineurs et la tenue des registres nobiliaires. Les gentilshommes propriétaires de chaque district n’en continuent pas moins à tenir leurs sessions périodiques, seulement ces assemblées du dvoritwtvo ne sont guère que des conférences d’amateurs ou de libres académies d’administration et d’économie politique. Si l’on n’y peut rien décider, on y peut tout discuter, car la loi autorise la noblesse à débattre dans ses assises tout ce qui touche de près ou de loin ses intérêts. Ce qui reste ainsi la première classe de l’état, c’est le droit de réunion, borné, il est vrai, à certaines époques et soumis à certaines formalités, mais garanti par la loi et sanctionné par les mœurs. Quelques-unes de ces assemblées usent largement de cette faculté, traitant solennellement les questions les plus importantes pour le pays et passant au crible de la critique les institutions de l’empire et les réformes de l’empereur.

  1. D’après une proposition récente du ministre de l’intérieur, il suffit aujourd’hui d’un certificat d’étude dans un établissement d’instruction secondaire, ou encore d’avoir occupé un poste électif, d’avoir été juge de paix, membre des assemblées provinciales ou municipales, etc.