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à l’occidentale. On ne saurait beaucoup le regretter, car ces savantes machines, importées toutes faites d’Angleterre ou d’Amérique, sont moins utiles que dangereuses là où le terrain n’est pas aplani pour elles et où les ouvriers ne sont pas dressés à les manier. La Russie n’a ni parlement ni ministère responsables, mais elle a reçu de son souverain ce qui seul peut la préparer à un parlement et rendre efficace une constitution, des tribunaux réguliers et des libertés provinciales et municipales.

C’est ce self-government local que nous voudrions étudier aujourd’hui dans les assemblées qui en sont le principal organe. L’on donne parfois en Europe une importance outrée aux manifestations irrégulières de l’esprit russe, aux sociétés secrètes, aux conjurations d’école, aux conspirations de jeunes gens et de jeunes filles. L’avenir politique de la Russie n’est pas là : il est moins dans cette présomptueuse agitation révolutionnaire qui ne remue pas le fond du peuple que dans les assemblées régulièrement élues où déjà sont représentées toutes les classes de la société russe et où les hommes les plus éclairés des différentes provinces s’initient modestement aux affaires publiques. Si humbles que nous semblent des institutions représentatives encore bornées aux intérêts locaux, la plupart des peuples du continent ont fait trop de chutes sur l’âpre chemin de la liberté pour avoir le droit de se montrer dédaigneux des timides commencemens d’autrui.


I

La guerre de Crimée avait aux yeux de la Russie, comme aux yeux de l’Europe, découvert les vices de l’administration impériale. A l’avènement de l’empereur Alexandre II, il était devenu manifeste pour tous qu’aucune réforme administrative n’était possible sans le secours et l’intervention des populations qui avaient si longtemps souffert de l’omnipotence des fonctionnaires. Le régime de l’empereur Nicolas avait assez montra que toutes les recettes des empiriques, toutes les panacées autoritaires du tchinovnisme et de la police, étaient hors d’état de guérir le mal invétéré de la corruption bureaucratique. Le gouvernement dut se décider à recourir au remède le plus simple, et pour les vieux tchinovniks le plus dangereux, au remède de la décentralisation et de la liberté. Reconnaissant son impuissance à tout mener, à tout décider, à tout contrôler des bords de la Neva, le gouvernement impérial voulut se décharger sur ses sujets, si longtemps administrés d’en haut, du soin des affaires locales. Les provinces et les villes, remises en