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une série de coups d’état qui avait prolongé et déshonoré la misérable existence du directoire[1]. Qu’est-ce que le 18 fructidor de l’an V, le 22 floréal de l’an VI, le 30 prairial de l’an VII ? Des coups d’état à droite et à gauche, coup d’état du gouvernement contre les chambres et coup d’état des chambres contre le gouvernement. Quand le directoire fut renversé, il tomba frappé du coup droit dont il avait enseigné la pratique. J’ai nommé Augereau parmi les gens sans scrupules qui auraient pu frapper ce coup, mais les plus scrupuleux, les plus intègres, un Masséna par exemple, un Jourdan, un Macdonald, eussent-ils donc hésité, dans cette France épuisée par dix ans de révolutions, à fonder par tous les moyens un gouvernement réparateur ? Cessons d’attribuer l’établissement du consulat au génie d’un homme, si grand qu’il soit. C’est la France qui a tout fait en définitive, puisqu’elle voulait un abri, et si elle n’avait eu celui-là, elle se serait contentée d’un autre.

Seulement, dans cet affaissement universel, après que la guillotine a détruit tous les chefs, quand l’armée révolutionnaire se débande, quand la lassitude, l’horreur, le dégoût, l’effroi de l’avenir, le besoin de repos et de sécurité, font que les plus ardens soldats de 89, les hommes même de 92 et de 93, cherchent quelque part un refuge, — pourquoi donc songent-ils à créer une dictature militaire au lieu de recourir à la monarchie traditionnelle transformée par la constituante ? On explique la chose, je le sais bien, par la répulsion persistante qu’inspirait l’ancien régime. Personne, dit-on, ne croyait que les Bourbons pussent revenir sans que l’ancien régime se relevât. Oui, sans doute, c’est l’explication ordinaire, celle qui a cours et dont il est impossible de ne pas tenir compte, mais il y en a une autre plus secrète, plus cachée, que M. Thureau-Dangin a mise en pleine lumière.

Écoutez cette singulière histoire. C’est en 96 ou 97 ; deux membres du parlement, celui-ci du conseil des anciens, celui-là du conseil des cinq cents, se trouvent seuls dans une salle de commission. L’un d’eux, Treilhard, ancien constituant, ancien conventionnel, avait voté la mort du roi et siégé au comité de salut public. L’autre, Mathieu Dumas, ancien député à l’assemblée législative, y avait défendu la monarchie de 89 et combattu les anarchistes.

  1. Nous ne faisons que traduire ici en termes plus condensés l’opinion exprimée par Cabanis dans une adresse mémorable : « Ceux même qui voulaient le plus sincèrement le maintien de la constitution ont été forcés de la violer à chaque instant pour l’empêcher de périr. » Voyez l’Adresse du corps législatif, au peuple français, en date du 10 brumaire an VIII de la république. C’est Cabanis qui rédigea ce projet d’adresse et le fit adopter par l’assemblée. (Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la révolution française, t. XXXVHI, p. 250.)