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fleuve et de beaux ombrages ; mais elles sont situées en plaine et elles manquent de vue. On souhaita quelque chose de plus varié et de plus ouvert, qui pût rivaliser, par la diversité des aspects et par l’étendue des horizons offerts au regard, avec le Pincio romain et la route qui, à Naples, contourne le Pausilippe. À cette fin, un habile officier du génie, le commandant Poggi, a dessiné, sur les coteaux qui s’élèvent au sud de Florence, un superbe boulevard, qui a près de 5 kilomètres de développement. Par une suite de lacets à pentes douces bien ménagées, ce boulevard va du quai de l’Arno, près le pont suspendu d’amont, jusqu’à la porte Romaine. La voie est large de 18 mètres ; la chaussée est macadamisée ; des deux côtés règnent des trottoirs pavés de belles dalles de pierre des Apennins. Ils sont bordés d’arbres qui ont été plantés déjà grands et qui poussent à merveille ; ici ce sont des chênes verts, là des marronniers, plus loin des platanes. La promenade est, le soir, tout entière éclairée au gaz ; il y a, de distance en distance, des prises d’eau pour l’arrosage.

La route atteint son point culminant au-dessus même de l’Arno, près San Salvatore de Francescani. Là, sur le Monte alle Croci, s’élargit une vaste place en hémicycle, qui domine le fleuve et la ville. C’est la place Michel-Ange, qui a été inaugurée le 14 septembre 1875, pour le quatrième centenaire de la naissance du plus grand des Florentins. Au milieu s’élève un monument composé de copies en bronze : le David se dresse sur un piédestal de marbre, auquel sont adossées quatre des statues du tombeau des Médicis. Au-dessus, un élégant café, la petite église des franciscains dans ses noirs cyprès, celle que Michel-Ange appelait « la belle paysanne, » puis, plus haut, San Miniato, ses vieux murs qui lui donnent l’air d’une forteresse, sa tour délabrée, son élégante façade en marqueterie de marbre. Au-dessous, une série de terrasses, plantées de fleurs et d’arbrisseaux, qui s’étagent jusqu’à l’Arno. Un large bassin et un jet d’eau, avec les brises qui s’insinuent par les gorges de la montagne, doivent donner quelque fraîcheur pendant les chaudes soirées d’été.

La ville paraît plus grande d’ici que de Fiesole ou des coteaux voisins ; on est au-dessus même des toits. Pourtant, lorsqu’on a dans la mémoire l’aspect des principales capitales de l’Europe ou même celui de Rome et de Naples, Florence garde l’apparence d’une assez petite ville ; cette impression serait encore plus marquée sans les quartiers neufs, où les maisons sont espacées. Pour qu’une telle cité ait pu jouer dans le monde de la pensée et des arts le rôle qui a été le sien, combien il faut qu’elle ait vécu d’une vie intense et forte ! Comme la plante humaine (la pianta uomo), pour prendre un mot