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rôle d’être aussi sensible au pittoresque. A ses yeux, ce marché avait un grand défaut : vu l’étroitesse des rues où il se tient et leur encombrement, il est à peu près impossible d’en assurer le nettoyage quotidien. Les débris de matières animales et végétales s’y amassent par terre et s’y corrompent dans tous les coins ; il s’en exhale des odeurs qui se font sentir à distance. De plus, dans de pareilles conditions, la surveillance et la police sont très difficiles. Enfin le marché, avec son installation toute rudimentaire, rapporte très peu à la ville. On décida donc l’érection d’un marché central, construit tout entier, à l’imitation des halles de Paris, en fer et en verre. Aujourd’hui ce marché existe, tout près de Saint-Laurent ; il a des caves spacieuses et fraîches ; il est haut, vaste, bien aéré ; mais vous n’y trouverez ni marchands ni acheteurs. A peine quelques places y sont-elles occupées ; depuis qu’il est achevé, il n’a guère servi qu’à donner quelques fêtes pendant le carnaval. Les étalagistes du vieux marché sont restés sourds à tous les appels que le syndic leur a adressés de sa voix la plus insinuante. Personne ne veut donner le signal du départ. « Si je m’en vais, dit chacun, mes cliens me suivront-ils là-bas ? Ils ont leurs habitudes ; ils n’aiment point à être dérangés. Plutôt que d’aller me chercher à Saint-Laurent, ils s’adresseront à mon voisin, qui sera resté ! Dans votre grande halle, ouverte à tous les vents, nous gèlerons l’hiver, et, sous ces vitrages, l’été, nous étoufferons. J’aime mieux mon échoppe, ici, dans ce cher coin bien abrité, au pied du palais des Vecchietti ou de celui des Amieri. Là, je ne crains ni la tramontane, ni le soleil, je me trouve bien en toute saison. » Pour décider à l’émigration tous ces obstinés, il aurait fallu jeter bas les vieux murs auxquels ils s’appuient, restes des demeures et des tours de la plus vieille noblesse de Florence, jadis tout entière groupée autour de la place du marché ; il aurait fallu exproprier à la fois tous ces détaillans. Alors enfin, chassés de chez eux, ils se seraient décidés, comme un essaim sorti de la ruche maternelle, à venir s’abattre et s’installer dans le marché central ; une fois que la ville les aurait tenus là, elle leur aurait bel et bien fait payer leur place, et l’opération aurait pu devenir fructueuse. Faute de ce complément nécessaire, elle se solde, jusqu’ici, par une perte sèche ; on ne s’est pas senti en mesure de tenter l’expropriation du Marché-Vieux, et les halles restent vides.

De tous les grands travaux entrepris dans ces dernières années, le seul qui ait été vraiment conduit jusqu’à son plein et entier achèvement, c’est la création d’une admirable promenade, le viœ dei Colli, ou boulevard des collines. Les cascine, dont s’était si longtemps contentée la Florence grand-ducale, n’avaient plus paru suffire à la capitale de l’Italie. Elles ont pour elles le voisinage du