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le 23 décembre 1873, il relevait ce mot avec éloge : — « M. Thiers, disait-il, a caractérisé suivant les règles de la courtoisie parlementaire le phénomène qui se reproduit dans tous les pays à constitution représentative et qui explique pourquoi il est bon de donner aux gouvernemens la faculté de dissoudre les assemblées électives, à savoir que les électeurs sont ordinairement plus circonspects, plus sensés, plus patriotes que les chefs des partis organisés au sein du parlement ou dans la presse, lesquels sont en général les plus avancés de la secte. » À la vérité les libéraux allemands peuvent se rendre cette justice qu’ils n’ont manqué ni de circonspection, ni de sagesse, ni de patriotisme ; leur seul crime est de se réserver le bénéfice d’inventaire, ils ne sont pas « des bismarckiens sans phrase. » — Il n’y aura jamais de parti bismarckien, disait un homme d’état ; la fascination, si grande qu’elle soit, ne l’est pas à ce point. Pour engendrer un parti personnel, il faut être ou Mahomet ou Bonaparte. Bismarck est tout-puissant, mais il n’a que son chien qui lui soit complètement dévoué. — Mais, si tranquille que soit leur conscience, les libéraux savent que l’art d’interroger les électeurs a été poussé fort loin par certains hommes d’état, que la Prusse est une nation profondément royaliste, et que la réponse du pays ne serait pas douteuse, si le gouvernement lui demandait : — Êtes-vous pour votre roi et empereur ou pour ses assassins ? — Or ils craignent que le gouvernement n’ajoute : — Si vous êtes pour le roi, votez pour nos candidats ; si vous êtes pour ses assassins, nommez des libéraux. — Aussi, à peine remis de leur émoi, ont-ils eu hâte de causer avec leurs électeurs et de leur dire : — Nous détestons les socialistes, nous exécrons les assassins et nous sommes prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour conjurer le péril social ; mais faites-y bien attention, il ne s’agit pas seulement du socialisme, il s’agit de douanes, d’impôts indirects, de la prorogation du septennat, il s’agit de porter atteinte à nos droits constitutionnels. Redoutez les tours de gibecière, et que le ciel vous tienne en garde contre les escamoteurs.

L’homme qui jadis prenait parti pour M. Thiers contre les trente, et qui l’an dernier a été le grand ennemi du 16 mai français, s’est décidé subitement à faire, lui aussi, son 16 mai. Réussira-t-il dans son entreprise ? Les circonstances lui sont propices ; les imaginations ont été vivement frappées de ce qui s’est passé sous les tilleuls. M. de Bismarck mettra à profit les inquiétudes des uns, l’indignation des autres. Il s’est bien gardé d’ajourner les élections ; elles auront lieu à la fin de juillet. Il n’a pas usé du délai de soixante jours que lui accordait la constitution ; il n’a pas voulu laisser aux émotions le temps de s’émousser, aux électeurs le temps de réfléchir, aux libéraux le temps de se reconnaître et d’aviser. On lui prête le projet de recourir à la méthode des candidatures officielles. Nous nous rappelons que dans un discours prononcé