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plus vive, la plus profonde impression ; ils ont excité partout une indignation mêlée de honte et de terreur. Peu s’en est fallu qu’on ne crût à un vaste complot, qui mettait l’empire, la société même en péril. Pendant quelques jours la fureur des dénonciations a sévi à Berlin comme une épidémie, et cette fureur a été encouragée par la police, qui a coutume de réparer ses imprévoyances de la veille par les débauches de zèle du lendemain. Cependant rien n’a prouvé jusqu’aujourd’hui que Hœdel et Nobiling aient eu des complices ; il se pourrait que le docteur comme l’ouvrier ferblantier n’eussent pris conseil que d’eux-mêmes, de leur imagination perverse et de leur tête malade. Le grand pontife du communisme, le fondateur de l’Association internationale des ouvriers, M. Karl Marx, s’est hâté de déclarer que les doctrines de la démocratie sociale n’ont rien à voir dans « l’entreprise des deux régicides, qu’elles en sont aussi innocentes que de la catastrophe du Grand-Electeur ou de la réunion du congrès à Berlin. » Sans contredit, il serait injuste de rendre le socialisme responsable de tous les crimes qui se commettent en son nom, de toutes les mauvaises passions qui travaillent les bas-fonds de la société, de toutes les haines qui fermentent dans les âmes aigries et dévorées. On ne peut nier toutefois qu’il ne soit l’allié naturel de tous les mécontens, et s’il n’approuve pas les crimes, il met peu d’empressement à les flétrir. Le socialisme est plus qu’une doctrine, le socialisme est une religion, et toutes les religions, les plus impures comme les plus saintes, allument dans les cœurs de sombres enthousiasmes. Tout dogme a ses fanatiques, et le fanatisme a peu de scrupules et n’a point de pitié.

Nous parlions ici même, il y a quelques semaines, des principales raisons qui expliquent le singulier ascendant qu’a pris en Allemagne la démocratie sociale, la vogue dont elle y jouit. Dans le nombre, il en est une que par discrétion nous n’avions point indiquée et qu’ont signalée dernièrement certains journaux progressistes d’outre-Rhin, beaucoup moins discrets que nous. On a plus d’une fois accusé M. de Bismarck d’avoir coqueté avec le socialisme. Dans les histoires qui ont couru à ce sujet il faut faire la part de la légende et même du roman. Il n’est point démontré que M. de Bismarck ait fait fumer à Ferdinand Lassalle quelques-uns de ses meilleurs cigares, et qui oserait prétendre qu’il ait du goût pour les doctrines socialistes ? mais il n’a jamais eu d’invincibles répugnances à l’égard des représentans de ces doctrines. Il résulte de la déclaration de M. Karl Marx, récemment publiée par le Daily News, et de la rectification que M. Lothar Bûcher a insérée dans une feuille de Berlin, que l’un des confidens du chancelier de l’empire, l’un de ses favoris, lequel prend part aux travaux du congrès en qualité d’archiviste et de secrétaire, est un ancien socialiste, qui fut l’admirateur, l’ami chaud de Lassalle, et qui n’a jamais renié son maître. Il