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type caressé sur la toile, sur la faïence, sur le papier avec une complaisance accusatrice, m’en avaient dit long sur le cœur de l’artiste, ardemment épris de l’enfant qui avait vu ses souffrances, ses luttes des mauvais jours, qui peut-être les avait plus d’une fois soulagées d’un sourire. Mais une chose me révéla la profondeur de la passion qui avait fait brèche au cœur de Laurens ; ce fut un grand dessin intitulé : le Portrait ovale. La traduction de Charles Baudelaire venait de mettre à la mode les Histoires extraordinaires d’Edgar Poë ; les uns admiraient l’Assassinat de la rue Morgue, le Scarabée d’or, les autres le Chat noir, le Cœur révélateur ; notre artiste, dominé par des préoccupations intimes délicieuses, alla droit au Portrait ovale, la nouvelle qui termine le second volume, et s’y attacha.

En ce très court récit, Poë montre l’art en lutte avec la vie : « un peintre s’acharne à faire vivre sur la toile les traits de la femme qu’il aime. Exalté par son idée, il prend à l’accomplissement de sa tâche « un plaisir vif et brûlant. » Mais le modèle, qui durant de longues semaines « s’est assis avec douceur dans la sombre et haute chambre d’une tour isolée, » voit a sa santé se dessécher peu à peu et ses esprits s’affaiblir. » Lui, dans un ensorcellement effroyable, ne remarque rien ; il travaille. — En vérité, c’est la vie même ! s’écrie-t-il d’une voix éclatante, la dernière touche posée. — Il se retourne pour regarder son idole : elle était morte. Dans le dessin, auquel Laurens n’avait pas hésité à donner le titre même de l’Histoire extraordinaire d’Edgar Poë, deux figures émergent du milieu d’un arrangement fantastique singulièrement bizarre : en bas, parmi les ombres vaporeuses, des ombres de rêve, |a figure fiévreuse, enflammée, tout yeux,- de l’auteur ; en haut, dans le cadre ovale décrit par le romancier, en pleine lumière idéale, la figure adorable de la bien-aimée.

Jean-Paul Laurens ne s’attarda pas à Toulouse. Les derniers devoirs rendus à Mme Villemsens, qu’il soigna jusqu’à la dernière heure avec l’affection dévouée d’un fils, il revint à Paris et se remit au travail d’arrache-pied. Autant l’année 1868 lui avait été rude, autant l’année 1869 lui fut clémente. D’abord il goûta la joie immense d’associer à sa vie celle que depuis longtemps son cœur avait élue, puis son tableau Jésus guérissant un démoniaque obtint une médaille au salon.

Dans cette œuvre nouvelle, on pouvait constater encore l’absence de décision vis-à-vis du principal personnage, au profil trop mince, à la chevelure fade annelée, revêtu du manteau bleu traditionnel, levant ses mains vers celui qu’il veut guérir de L’invasion du malin esprit par un geste un peu théâtral. C’était manifeste, Dieu, que