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défendre, il y est engagé par le serment du sacre, — et lui-même se mettrait en révolte ouverte contre elle, s’il ne donnait pas à ses décrets la sanction du pouvoir qu’il tient de Dieu.

Le fond de la dispute, il n’est pas besoin de le rappeler, roulait sur la grâce, le libre arbitre et la prédestination. Il n’était pas donné à des légistes de porter la lumière dans ces ténébreuses questions, quand les plus grands esprits de l’église n’avaient jamais pu les résoudre que par des subtilités scolastiques qui prêteront éternellement à la controverse. En voulant rendre la bulle obligatoire par ordonnance royale, les molinistes sortaient de la théologie et soulevaient les plus graves problèmes des sociétés humaines ; ils touchaient à la liberté de conscience, aux rapports de l’église et de l’état, au pouvoir du pape et du roi. On n’avait pas oublié les persécutions de Louis XIV, la destruction de Port-Royal, la violation de ses tombeaux, les honteuses victoires remportées par le grand roi sur des pierres et des ossemens. L’ombre du père Letellier se dressait derrière l’archevêque de Paris ; on se sentait menacé, et dans la population civile chacun tenait à honneur d’être janséniste, sans s’inquiéter de savoir ce qu’était le jansénisme, et se rangeait du côté du parlement, parce qu’il combattait le corps épiscopal, qui favorisait le despotisme civil pour exercer sans obstacle le despotisme religieux. Ce sont les mots de l’époque[1].

Avant d’administrer les sacremens : mariage, communion, extrême-onction, les curés molinistes de Paris exigeaient de leurs paroissiens un billet de confession constatant qu’ils n’étaient pas infectés de l’esprit de la secte, ou, à défaut de billet, une solennelle adhésion à la bulle Unigenitus. Aussitôt que ces exigences se produisaient, le parlement, qui les avait interdites par de nombreux arrêts, mandait à sa barre le curé réfractaire, le décrétait de prise de corps ou l’exilait. Lorsqu’il paraissait un bref ou un mandement épiscopal, il supprimait le bref, interjetait appel comme d’abus, et entamait des poursuites contre l’évêque[2]. Cet appel, qui n’est plus qu’une pure formalité comportant un simple blâme, avait sous l’ancien régime un caractère rigoureusement coercitif, car il entraînait la saisie du temporel, c’est-à-dire le séquestre des biens ecclésiastiques dont les revenus tenaient lieu des traitemens que l’état fait aujourd’hui au clergé. Les évêques en appelaient au conseil du roi, qui cassait les arrêts du parlement ; celui-ci, à son tour, cassait

  1. « La plus grande partie de Paris est janséniste : le peuple, la bourgeoisie, et même au-dessus. La liberté est chère à tous les hommes. » Journal de Barbier.
  2. Journal de Barbier, t. I, p. 91, 145, 149, 290, 292 ; IV, 221, 351 ; VI, 142. — On trouvera à la Bibliothèque nationale le recueil de tous les actes du parlement relatifs aux billets de confession dans les manuscrits du fonds français, n° 14,038 et 14,053 à 14,058.