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Hong-Kong-et-Shanghaï-bank, l’Oriental-bank et le Comptoir d’escompte de Paris, sont venues porter une rude atteinte au monopole des grandes maisons établies au début : les Jardine, les Russell, les Dent, qui étaient seules en état, par l’importance de leurs capitaux, de fonder des établissemens dispendieux comme ceux qui font la gloire de Shanghaï. Aujourd’hui quiconque offre des garanties peut trouver dans ces banques des capitaux qu’il rembourse avec ses bénéfices ; on leur emprunte les fonds nécessaires pour les achats de soie, en leur donnant la marchandise en gage jusqu’à son arrivée en Europe au moyen d’une formalité désignée dans la langue du commerce sous le nom de traite documentaire ; et, presque sans bourse délier, le débutant bien accrédité auprès d’une banque peut louer des capitaux pour une saison, les rembourser sur le produit de ses ventes à Lyon ou à Londres et recommencer ainsi chaque année. La facilité de ces opérations, en augmentant la concurrence, a rendu les bénéfices minimes, et le temps des rapides coups de fortune n’est plus.


III

La prospérité des settlements étrangers a subi de nombreuses fluctuations dont il faut chercher le secret tantôt dans des perturbations locales, tantôt dans des causes générales. Au lendemain des traités, en 1861, on se plaignait que la guerre n’eût en rien augmenté les débouchés et que l’ouverture de nouveaux comptoirs n’eût servi qu’à détourner la clientèle dans les anciens établissemens sans en procurer une nouvelle à l’Europe. La rébellion des Taï-pings sévissait alors dans toute sa force, et les marchandises ne pouvaient arriver, à travers les bandes de pillards et d’incendiaires, jusqu’aux ports d’embarquement. Mais, par un singulier retour des choses d’ici-bas, cette rébellion, qui désolait le commerce de la Chine, allait faire la fortune de Sanghaï. Cette ville fut en effet le foyer d’une insurrection partielle ainsi que toute la province du Kiangshu. Tout ce qui avait un patrimoine à défendre vint demander l’hospitalité sur la concession européenne, respectée par la révolte et défendue par les troupes anglaises. Des maisons bâties en toute hâte reçurent les réfugiés, que l’on comptait par centaines de mille ; les terrains acquirent un prix exorbitant ; tout le monde se fit entrepreneur de logemens. Le sort de la guerre venait d’amener dans la nasse européenne une riche capture que, pendant trois ans, on exploita sans vergogne. Il faut avoir vu, disent les témoins oculaires, Shanghaï à cette époque, pour se faire une idée du mouvement qui l’animait et de la fièvre des affaires en présence de ces consommateurs forcés, bloqués par les rebelles dans la ville européenne.