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ne s’est probablement pas exposé de gaîté de cœur à revenir à Londres pour remettre plus que jamais l’Angleterre sous les armes, s’il peut faire autrement. Il est évident que toutes les puissances représentées aujourd’hui à Berlin ont le sentiment de la grave situation où se trouve l’Europe, et, si elles refusent de livrer l’Orient à une prépondérance unique, elles ne prétendent pas enlever à la Russie tous les fruits de ses victoires, le prix de ses sacrifices ; elles ne peuvent pas avoir la pensée d’abroger toutes les conséquences d’une guerre qui a éclaté sans leur aveu, il est vrai, mais qui en définitive est aujourd’hui un fait accompli ; elles n’entendent combattre ou modifier que ce qui serait absolument incompatible avec les intérêts les plus élevés, les plus évidens de l’Europe. La Russie, de son côté, ne peut pas être allée au congrès sans avoir accepté d’avance la nécessité de quelques-unes des concessions qu’on veut lui demander. Elle connaît ces concessions, elle a eu le temps de s’y accoutumer ; elle n’est point intéressée à se mettre en hostilité avec l’Europe, et rien ne l’empêche de s’associer aux autres gouvernemens pour substituer une œuvre de garantie commune à ce traité mal venu de San-Stefano, qui n’a été jusqu’ici pour elle qu’un embarras. En fin de compte, ce congrès, qui a déjà coûté tant d’efforts, qui est venu si laborieusement au monde, ne peut pas s’être réuni pour aboutir à un échec désastreux. Il a la mission de préparer la paix, non une guerre nouvelle, et c’est à cette œuvre pacificatrice, modératrice, que peuvent particulièrement s’employer des puissances comme la France, l’Italie, l’Allemagne elle-même, qui, sans être moins intéressées que d’autres dans les affaires d’Orient, ont été moins engagées dans les derniers conflits diplomatiques.

C’est le vrai rôle des puissances neutres, c’est surtout le rôle de la France, tel qu’il a été tracé, défini par le gouvernement, accepté par la chambre des députés dans une discussion qui a précédé le départ de M. le ministre des affaires étrangères pour Berlin. Une interpellation de M. Léon Renault a offert à M. Waddington l’occasion d’expliquer le système de conduite, la politique de notre gouvernement, de notre pays dans ces affaires d’Orient, qui agitent aujourd’hui le monde. M. le ministre des affaires étrangères a été aussi mesuré que sincère dans son langage. Il a précisé simplement, nettement, le sens de la neutralité dont la France ne s’est point départie, le caractère de sa participation au congrès où elle va maintenant prendre sa place. M. Waddington n’a rien dit de trop, il en a dit assez pour dissiper tous les doutes. La France va à Berlin sans parti pris, sans arrière-pensée et sans engagement, en puissance maîtresse d’elle-même, neutre par réflexion, par choix délibéré, non par indifférence ; elle va au congrès pour être avec ceux qui défendront la paix et les principes de droit public, qui voudront assurer une protection efficace aux populations chrétiennes de