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voyé à Berlin son chancelier, le comte Andrassy, avec son ambassadeur à Rome, M. de Haymerlé, et le comte Karolyi, accrédité par l’empereur François-Joseph auprès de la cour d’Allemagne. La France est représentée par son ministre des affaires étrangères, M. Waddington, par son ambassadeur à Berlin, M. le comte de Saint-Vallier, et par le directeur des affaires politiques, M. H. Desprez. L’Italie a pour représentans son ministre des affaires étrangères, le comte Gorti, et son ministre en Allemagne, le comte de Launay ; elle n’a pas choisi encore un troisième délégué. La Turquie elle-même enfin envoie Méhémet-Ali, l’ancien général de l’armée de Choumla, Carathéodory-Effendi, le sous-secrétaire d’état des affaires étrangères, dont le sultan a fait récemment un ministre des travaux publics. Chaque puissance aurait trois plénipotentiaires, sans parler de tous les agens serbes, roumains, grecs ou bulgares qui vont chercher des protecteurs et défendre leurs intérêts ou leurs ambitions. Depuis le congrès de Paris, aucune réunion de cette importance ne s’était produite, et le nouveau congrès de Berlin semble vouloir renouer les traditions du vieux congrès de Vienne.

Chose curieuse ! dans tout ce mouvement de diplomatie dont Berlin est le centre et où la Russie figure par ses plus éminens personnages, il n’est plus question du général Ignatief, l’ancien ambassadeur en Turquie, l’impétueux meneur de la conférence de Constantinople, l’homme qui a certes le plus fait pour entraîner son pays dans cette grande et dangereuse aventure. C’est une fortune diplomatique qui a sombré pour le moment et qui dans ses vicissitudes singulières semble représenter les contradictions, les perplexités de la politique russe. Au moment où l’action s’engage, au début de la guerre, le général Ignatief, qui a si bien travaillé à aggraver et à précipiter la crise, est encore l’homme qui flatte les passions nationales par son programme de partage de la Turquie ; il est écouté dans les conseils, il promet aux armées russes des victoires faciles, et semble leur montrer tout ouverte la route de Constantinople. C’est le personnage populaire du moment, le successeur désigné du prince Gortchakof comme chancelier de Russie ! Surviennent les revers, la défense de Plevna, la retraite nécessaire derrière les Balkans, des échecs douloureux, tous ces incidens de guerre qui, en révélant de la part des Turcs une résistance inattendue, semblent tromper les promesses, les prévisions de l’audacieux diplomate, — et le général Ignatief tombe en disgrâce. Il est accusé d’avoir induit en erreur le gouvernement de Saint-Pétersbourg, il va expier dans une sorte d’exil à Kief des mécomptes dont on rejette sur lui la responsabilité. La fortune des armes du tsar se relève bientôt, on a réduit Plevna, on a passé de nouveau les Balkans, on est décidément en marche sur Constantinople, et le général Ignatief reparaît, il a reconquis son crédit ! Il touche désormais ou il croit toucher le but : c’est lui qui est le négociateur du