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plaçait sous la sauvegarde de ses arrêts ; mais il ne puisait pas seulement sa force dans son caractère judiciaire. Une question toujours débattue depuis l’origine de la monarchie s’agitait obscurément dans les luttes sans cesse renaissantes qu’il a soutenues contre les derniers Valois et les Bourbons : cette question, c’était l’antagonisme du droit national et du droit divin, et pendant deux siècles cette grande cause a été plaidée au Palais de Justice de Paris[1].


II.

Jusqu’aux dernières années du règne de Charles VI, le parlement s’est renfermé dans ses fonctions judiciaires. Il enregistrait sans opposition les édits et ordonnances, après en avoir pris lecture, et les promulguait avec la formule : Lecta et publicata. Mais en 1418 le parti bourguignon, « qui possédait le roi par l’imbécillité de son cerveau, » lui arracha une ordonnance contraire aux libertés de l’église gallicane[2]. Ces libertés avaient toujours été chères à la nation. Hincmar au IXe siècle, saint Bernard au XIIe, s’en étaient montrés les défenseurs convaincus[3]. Saint Louis les avait confirmées, non pas dans la pragmatique qu’on lui attribue et qui n’est qu’un document apocryphe, mais par quelques articles de ses ordonnances. Le parlement s’inspira de cette tradition, il ne voulait pas que la France eût deux rois, l’un à Paris, l’autre à Rome, et il protesta, par des remontrances très fortes, contre

  1. Le parlement, de Paris a été avec la royauté le plus grand pouvoir de l’ancien régime. Son histoire détaillée, comme corps de justice et comme corps politique, est encore à faire ; les documens ne manqueront pas. Les archives nationales contiennent la collection des registres de cette cour souveraine ; ils sont au nombre de 10,363, donnant 5,230,OO0 actes de 1254 à 1790. La publication de la table de cet immense recueil a été commencée en 1863, sous le titre d’Inventaire des actes du parlement, par M. Boutaric, qu’une mort prématurée vient d’enlever au moment même où il était nommé membre de l’Institut. Les ouvrages imprimés sont aussi fort nombreux, la Bibliothèque historique de la France du père Le Long, édit. de 1778, t. IV, p. 134 et suiv., en mentionne 168. Le Catalogue de l’Histoire de France, publié par l’administration de la Bibliothèque nationale, t. VII, donne l’indication à peu près complète de ce qui a paru depuis. Les Treize parlemens de France, 1617, in-fo, de Bernard de Larochoflavin, président à mortier à Toulouse, né en 1552, mort en 1627, et l’Histoire du parlement de Voltaire, sont jusqu’à présent les deux meilleurs livres qui aient été écrits sur ce sujet. On trouve dans Voltaire quelques erreurs, mais on y trouve avant tout la sagacité pénétrante que ce merveilleux esprit portait en toutes choses.
  2. Pasquier, Recherches de la France, 1617, in-4o, p. 301 et suiv.
  3. On connaît la réponse d’Hincmar au pape qui menaçait de venir en France excommunier des évêques : Si excommunicaturus veneris, excommunicatus abibis ; et la réponse de saint Bernard à Innocent II : Nous sommes plus pape que vous. Ce n’est plus ainsi que parlent nos évêques.