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Revenons au sentier que nous avons quitté un instant, et nous arriverons en quelques minutes à l’entrée de l’acropole. Le sentier suit en partie le tracé de l’ancienne voie qui, après avoir franchi un pont dont on voit les restes sur la droite, traversait toute la ville basse pour arriver également à la ville haute. Malgré l’épithète de ville aux belles rues donnée à Mycènes par Homère, cette voie ressemblait plutôt aux ruelles montueuses et pierreuses de l’Orient qu’aux rues de nos villes modernes. Seuls, les bêtes de somme et les gens y pouvaient passer, et, de même qu’à l’Ennéapyle d’Athènes, dont M. Beulé a retrouvé la place, on voit encore les stries pratiquées sur le roc pour empêcher le glissement.

Ce que nous avons dit de Tirynthe ne suffit point pour donner une idée des murailles de Mycènes. Sur plusieurs points des remparts, l’identité de construction est complète, et tout est semblable jusqu’aux galeries ogivales. Il est probable que les deux villes datent du même temps ; mais, tandis que Tirynthe s’est conservée semblable à elle-même jusqu’à son abandon, Mycènes avait dû subir à diverses époques des réparations dans son enceinte. Et de même qu’au xiiie siècle on ajoutait volontiers un chœur gothique à une abside romane, les Mycéniens réparèrent leur ville au goût du jour sans égard pour l’unité de style. C’est ainsi qu’une partie de l’enceinte, une des mieux conservées, est bâtie en pierres polygonales, habilement ajustées, genre de construction qui marque un grand progrès sur l’appareil tirynthien, et qui est encore fréquemment usité de nos jours pour les murs de soutènement, avec la seule différence que nous employons de la chaux pour combler les interstices. Il y a mieux. Toute la partie de l’acropole voisine de l’entrée où mène le sentier que nous suivons est construite en blocs de même hauteur, posés par assises horizontales parfaitement régulières. C’est le troisième et dernier degré de l’architecture cyclopéenne. Que les blocs soient taillés à angle droit, et nous arriverions à l’appareil hellénique. Autant qu’on en peut juger dans l’état actuel, les remparts de Mycènes n’ont guère dépassé cinq ou six mètres en hauteur, ce qui est très suffisant pour la défense, surtout si l’on tient compte de la pente du terrain à l’extérieur. Seule la tour qui nous cache la principale porte s’élevait probablement beaucoup plus haut. Elle devait servir à donner des signaux dans toute la plaine qu’elle domine et jusqu’à la mer. On se rappelle que, dans Eschyle, c’est par une sorte de télégraphe aérien que la nouvelle de la prise de Troie parvient à Clytemnestre : un feu allumé d’île en île fait connaître en quelques heures la grande nouvelle et comble de joie les Mycéniens et de terreur la malheureuse reine qui, moins fidèle que l’épouse d’Ulysse, a mille raisons de redouter le retour du roi des rois.