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n’était pas sans ajouter du pittoresque à notre caravane. Je veux croire qu’ils ne nous ont préservés que de dangers imaginaires ; mais, pendant tout le temps que nous leur avons été confiés, ils ne nous ont pas quittés d’une semelle. Nous traversons un pays presque inculte faute de soins et faute d’eau. L’Inachos, qui répandait autrefois la fertilité, est en été un lit de cailloux desséchés, et un torrent impétueux pendant l’hiver. Devant nous des ruines commencent à se détacher sur le flanc abrupt de la montagne avec laquelle elles se confondaient d’abord : cette montagne, c’est le mont Eubœ, dont le nom fait allusion à de gras pâturages, remplacés maintenant par le roc : ces ruines sont celles de Mycènes, dont les grandes proportions se révèlent à mesure que nous approchons du village qui a remplacé sur les cartes modernes la ville de Pélops et d’Agamemnon.

Kharvati, assure-t-on, signifie ruines en langue turque. C’est une pauvre bourgade où la misère des paysans grecs apparaît dans toute sa nudité. Les maisons sont des huttes en torchis où bêtes et gens couchent pêle-mêle dans l’unique chambre qu’elles renferment. Grâce à la considération dont jouit notre drogman, nous trouvons un accueil empressé chez le papa, prêtre à barbe blanche, père d’une nombreuse lignée, qui se dépossède pour nous de sa modeste demeure. Le temps est beau : il couchera à la belle étoile avec sa famille, comme font volontiers les Grecs pendant les grandes chaleurs de l’été. Les naturels nous entourent en foule : c’est à qui nous rendra ou semblera nous rendre service, pour se donner des droits au bakchich, institution turque dont les Canaris et les Mavromichalis n’ont pu débarrasser leur pays quand ils ont expulsé les Ottomans. Ils sont bien quinze pour aider nos gens à desseller les chevaux et à étendre dans la chambre du papa les couchettes apportées d’Athènes. On nous offre de tous côtés des agneaux tout vivans, seul aliment que l’on trouve à peu près partout : l’un d’eux est immédiatement sacrifié, puis dépecé, rempli d’herbes aromatiques et empalé avec une longue perche qui servira de broche. On fait du feu avec des broussailles, et deux vieillards, gravement assis, font tourner l’agneau devant la flamme. Nous allons goûter au mets favori des brigands et des klephtes, à l’agneau à la pallikare, dont on nous réserve le dos, le morceau d’honneur, celui que Ménélas offrait à Télémaque son hôte dans son palais de Lacédémone.

II.

Le fondateur de Mycènes, d’après la tradition, a été Persée, dont les anciens chroniqueurs placent l’existence au XVIIe siècle