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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

un des témoins de cette scène, et m’a paru assez caractéristique pour mériter de n’être point passé sous silence[1].

La Banque chômait, on peut le croire ; elle avait retiré ses sentinelles extérieures, son poste était fermé, le branle-bas de combat avait été fait, et le commandant Bernard ne se reposait guère. Les rues voisines semblaient se préparer à la bataille ; au carrefour de la rue des Petits-Champs et de la rue de la Feuillade, quelques fédérés, aidés par les gamins du quartier, avaient élevé une barricade assez piteuse, du reste, et composée d’élémens qui ne la rendaient pas bien redoutable. Un ouvrage de défense construit à l’entrée de la rue Coquillière et armé d’une pièce de canon était beaucoup plus sérieux ; mais il était dominé par la Banque, et quelques coups de fusil eussent suffi pour le réduire au silence. La situation de Paris était telle que l’on ne pouvait même pas songer à renvoyer dans leurs lointains domiciles les maçons qui étaient venus le matin rue de La Vrillière pour y continuer leurs travaux. On les installa dans la galerie des recettes, convertie en campement ; la buvette les avait nourris. Les provisions ne manquaient pas depuis plusieurs jours : en prévision de cette dernière bataille que l’on attendait et des difficultés qu’elle pouvait entraîner avec elle, l’économe n’avait point ménagé les achats de vivres et avait amplement garni les garde-manger. La nuit fut calme, chacun veilla à son poste désigné ; on entendit passer quelques patrouilles signalées par leurs voix avinées ; mais on n’eut aucune alerte à subir.

À l’aube du mardi 23 mai, dès que l’on fut éveillé à la Banque, le premier mot fut : « Où sont les Versaillais ? » Nul ne put répondre. Le vent ne portait pas, comme l’on dit, et l’on n’entendait rien, ni coups de canon ni fusillade. L’armée marchait lentement ; la révolte se fortifiait, réquisitionnant le pétrole et conduisant les otages à la Grande-Roquette. À la Banque, on était littéralement comme dans un fort assiégé : portes closes, grilles fermées, tout le monde sous les armes, murs crénelés, matériaux pour une barricade réunis dans la cour, fenêtres matelassées, oblitérées par des sacs de terre. On était prêt, toujours prêt, et cette attitude, que n’ignoraient pas les fédérés, éloigna peut-être les grands dangers de la dernière minute. Dans la matinée, vers onze heures, on entendit un bruit de tambour et de pas cadencés dans la rue de La Vrillière ; puis le commandement : « Halte ! front ! » On regarda, et

  1. Le signe particulier que portait Andrieu aida singulièrement à son évasion : Andrieu se réunis chez un de ses amis qui le cacha avec dévoûment. Il fit enlever son œil borgne et le remplaça par un œil de verre qui le rendait méconnaissable. Vers le mois d’août, sous un déguisement militaire, il put gagner une ville maritime et passer à l’étranger.