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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

s’adressa à son délégué aux finances pour avoir de l’argent, et celui-ci eut recours à la Banque. À dix heures du matin, le citoyen Durand se présenta à la caisse centrale porteur d’un reçu de 700,000 francs signé par Jourde ; il s’était fait accompagner de Charles Beslay, qui appuyait la demande. Prévenu par M. Mignot, qui refusait de payer en l’absence d’un ordre régulier, le marquis de Plœuc accourut, trouva la réquisition excessive et la réduisit à 200,000 francs, qu’il consentit à faire verser. Le caissier Durand les empocha ; Charles Beslay fit quelques observations que l’on n’accueillit pas, et comme il comprenait qu’en présence de la bataille qui bruissait dans Paris, la Banque était exposée à subir une exécution militaire de la part de la commune exaspérée, il se rendit à l’Hôtel de Ville afin de prendre langue et de savoir exactement ce que l’on pouvait avoir à redouter. Au bout de deux heures, il revint ; le résultat de la négociation n’était point satisfaisant. « Paris, le 22 mai 1871. Au nom du comité de salut public : Sommation est faite à la Banque de France de remettre au citoyen Jourde la somme de cinq cent mille francs, réquisitionnée pour le compte et service de la ville de Paris. Pour le comité de salut public : G. Ranvier, E. Eudes. » Et par le travers : « Si cette somme n’était pas payée, la Banque serait immédiatement envahie par la garde communale ; le délégué aux finances : Jourde. »

La commune se sentait donc bien près de n’être plus obéie puisque, semblable à une armée menacée de toutes parts, elle faisait « donner » ses hommes d’élite. Gabriel Ranvier, ancien banqueroutier, qui devait avoir bientôt l’honneur d’ordonner le massacre de la rue Haxo, et Eudes, le général Eudes, l’incendiaire prochain de la rue de Lille et du palais de la Légion d’honneur qu’il a dévalisé, le joli Eudes, l’assassin des pompiers de la Villette, le copain de Mégy, le protecteur d’Émile Gois, ce colonel surnommé « Grille-d’Égout » qui mènera les gendarmes et les prêtres vers la cité de Vincennes, voilà les autorités qui, à cette heure lugubre, représentent Paris et tirent, — c’est le vrai mot, — sur la Banque de France. On ne peut réprimer quelque haut-le-cœur en voyant Jourde, qui fut honnête et n’était point mauvais, accoler son nom à celui de ces deux bandits subalternes et bassement vicieux. La menace de Jourde n’était point vaine ; deux bataillons et deux pièces d’artillerie étaient dirigés vers la Banque.

Charles Beslay insistait avec énergie pour que les 500,000 francs lui fussent immédiatement remis, afin qu’il pût les porter à l’Hôtel de Ville et apaiser les colères qui y grandissaient contre « les conspirateurs de la Banque. » Le marquis de Plœuc résistait ; il était seul et ne pouvait assumer sur lui une responsabilité aussi grave.