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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

On voulut tout simplement le retenir prisonnier à l’Hôtel des Monnaies, jusqu’à ce qu’il y eût fait parvenir les lingots que l’on exigeait. Il lui fallut menacer de l’intervention du délégué de la commune près de la Banque pour être rendu à la liberté.

Le conseil des régens, le sous-gouverneur, les chefs de service éprouvaient une répugnance très sérieuse à livrer leurs matières d’or et d’argent au monnayage de la commune, car ils comprenaient très bien que l’on profiterait de cette « opération » pour faire fondre et disparaître bien des objets en métal précieux enlevés dans les monumens du culte ou chez les particuliers. On se donnait garde de mettre en avant ces motifs, qui auraient certainement paru « trop monarchistes et trop cléricaux » à la libre pensée communarde, on se contentait de dire à Charles Beslay que l’absence des fonctionnaires nommés par l’état pour constater la régularité des diverses opérations du monnayage, depuis l’entrée des matières au bureau de change jusqu’à la délivrance des espèces[1], pouvait faire naître des doutes sur l’aloi des pièces fabriquées. Charles Beslay admettait sans peine ces raisons d’un ordre exclusivement financier, mais il essayait vainement de les faire prévaloir dans les conseils de la commune. On avait gagné du temps, et l’on espérait peut-être parvenir à éviter l’abandon de quelques lingots, lorsque la commune, irritée de ces lenteurs et voulant faire taire les scrupules de la Banque, nomma une commission des monnaies dont la composition fut signifiée au marquis de Plœuc[2]. Ce fut le 5 mai que la Banque reçut cette notification, et le 8, sur une invitation de Charles Beslay, si pressante qu’elle ressemblait à une sommation, elle livra quelques matières à monnayer.

Il faut épuiser tout de suite pour n’y plus revenir l’histoire des relations de la Banque de France avec la Monnaie de la commune. Du 8 au 17 mai, M. Mignot se vit contraint d’abandonner à Camélinat 165 lingots d’argent représentant une valeur de l,112,843 fr. La fabrication ne languit pas, car, d’une part, la Banque était pressante, et, de l’autre, la commune avait grande hâte de faire acte souverain. Camélinat put battre rapidement monnaie, en employant les coins en cours de service ; mais il remplaça l’abeille, déférent de M. de Bussière, directeur régulier de la fabrication, par le déférent qu’il s’attribua : un trident ; c’est à cela que l’on pourra

  1. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1868, notre étude sur l’Hôtel des Monnaies de Paris et la fabrication des espèces monétaires.
  2. Camélinat, délégué à la direction ; Perrachon, commissaire des monnaies ; Fournier, contrôleur au change ; Feront, chef du laboratoire des essais ; Desmarais, essayeur ; Lampérière, contrôleur au monnayage ; Barre, graveur général ; Garnier, contrôleur aux coins et poinçons ; Murat, délégué à la fabrication. Le décret est signé ; V. Clément ; Billioray ; E. Lefrançais ; contre-signé : Jourde.