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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

Par suite d’un hasard qui aurait pu devenir une désagréable aventure, un train porteur de 28 millions en or était en route pour revenir de Brest à Paris, lorsque le 18 mars éclata. On n’eut que le temps d’arrêter le train en route pour l’empêcher de tomber aux mains des hommes de la commune ; on le dirigea vers Lyon, vers Toulouse, vers Marseille ; la veille du jour où il devait entrer en gare, on apprenait que la ville se soulevait, se couvrait de haillons rouges ; le train stoppait, rétrogradait, se réfugiait dans quelque petite station inconnue ; reprenait sa route à la moindre alerte et marchait comme un bataillon bloqué de tous côtés par des armées ennemies. Ces 28 millions firent ainsi une sorte de retraite des dix mille qui ne manqua point d’imprévu et, après avoir réussi à éviter tous les dangers, finirent par trouver un abri à l’arsenal de Toulon, où l’amiral Jauréguiberry leur donna un asile respecté.

La situation de la Banque, à Paris, préoccupait singulièrement M. Rouland ; il savait qu’elle était vilipendée, menacée, spoliée, qu’elle n’échappait que comme par miracle aux périls sans nombre qui l’entouraient. Il en connaissait assez le personnel pour être convaincu que nul n’y faiblirait, qu’elle serait défendue, qu’on y livrerait au besoin un combat à outrance ; mais sans doute on ne parviendrait pas à la sauver. Si le parti jacobino-blanquiste de la commune, fatigué des concessions qu’il avait faites jusqu’à ce jour au parti économiste, se débarrassait violemment de celui-ci en le jetant à Mazas, à côté de l’archevêque, ou à la Grande-Roquette à côté des gendarmes, tout était à craindre ; la Banque serait alors certainement envahie et administrée par les vainqueurs, c’est-à-dire mise au pillage. Cette éventualité, que Paris aurait vu se réaliser si l’entrée des troupes avait été seulement retardée jusqu’au 23 mai, cette éventualité, M. Thiers ne pouvait l’ignorer, car quelques membres de la commune rivalisaient d’empressement pour lui envoyer des renseignemens précis sur les projets qui agitaient les cervelles à l’Hôtel de Ville ; cette éventualité vraiment redoutable a dû être connue de M. Rouland et l’inquiéter vivement sur le sort de l’institution dont il est le gouverneur. Il crut qu’une action diplomatique était possible et que la commune reculerait devant une exécution de la Banque de France, si celle-ci était officiellement prise sous la protection, sous la sauvegarde des puissances étrangères. À ce moment, la serre du dépôt des titres contenait 746,580 titres de valeurs étrangères, représentant ! a somme de 327,695,879 francs. Était-ce assez pour motiver une intervention sérieuse ? M. Rouland le crut et écrivit dans ce sens à M. Pouyer-Quertier, ministre des finances, lui demandant de soumettre ce projet « aux lumières et à la haute expérience de M. le