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approfondie de toutes les affaires de l’Europe. Réfutation anticipée de toutes les objections probables, solution de toutes les difficultés possibles, soin constant de présenter une question sous toutes ses faces, abondance inépuisable qui va quelquefois jusqu’à la prolixité, beaucoup d’aisance et de grâce dans les détails, tels sont les traits qui signalent clairement l’action du grand ministre. Louis XIV ne semble pas avoir vu avec défiance cette action incontestable. Il était encore dans cette période où, pour calculer tout avec prévoyance, pour exécuter tout avec précision, pour préparer les événemens au lieu de les attendre, il savait faire concourir à ses fins non-seulement les circonstances, mais les meilleurs instrumens. Il devait croire d’ailleurs que les preuves de la fréquente intervention personnelle de Lionne resteraient à jamais enfouies dans d’inaccessibles cartons et qu’au régime commode des historiographes officiels et gagés ne succéderait jamais le régime libre des historiens impartiaux. Or, parmi les nombreuses pièces de ces négociations multiples, il en est quelques-unes qui attribuent nettement à Lionne le rôle prépondérant. C’est ainsi que le roi, ayant appris que le marquis de Castel Rodrigo, gouverneur des Pays-Bas espagnols, avait demandé un secours de six mille Allemands, appela auprès de lui l’ambassadeur d’Espagne afin de se plaindre de cette conduite hostile. Voilà l’action personnelle du monarque; justement blessé, il mande le représentant de l’Espagne. Mais les archives renferment[1], sous le titre de « Mémoire de ce que le roi pourra dire à M. le marquis de la Fuente, ambassadeur d’Espagne, par M. de Lionne, du 8 février 1665, » un exposé complet des griefs passés et présens et une conversation toute préparée. Voilà l’action personnelle du ministre. Ce n’est pas là, ce nous semble, œuvre de commis, mais bien œuvre de maître. Veut-on une preuve plus significative encore? Qu’on lise ces premières lignes d’une dépêche adressée par Lionne à l’ambassadeur de France à Madrid : « J’eus le soin de vous mander, il y a quinze jours, le sujet de ma venue en ce lieu (Paris), où. Dieu merci, j’ai si bien rétabli ma santé que j’espère de partir après-demain pour me rendre à mon devoir auprès de sa majesté. Mon éloignement de la cour, et l’application extraordinaire que le roi donne avec tant de succès à l’action de ses armes, ont été cause que sa majesté a un peu tardé à répliquer à la réponse de la reine d’Espagne[2]. »

Mais c’est dans les négociations engagées en Allemagne, soit par Mazarin, soit par Louis XIV, que se révèlent le mieux les traces de Lionne ; c’est là qu’il a le plus fortement laissé son empreinte. Il

  1. Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. Ier, p. 334.
  2. Lettre du 10 juillet 1667. Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. II, p. 182.