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pour ne pas détruire nous-mêmes, et par notre faute, tout l’effet des renonciations de l’infante, qui deviendraient constamment nulles, si la dot n’était pas payée précisément aux mêmes termes que nous stipulerons[1]. » Coloma semblait avoir tout prévu, et il avait raison de croire qu’à moins que l’Espagne ne disparût, rien ne pourrait empêcher le paiement exact de la dot. Il inséra donc les deux petites lignes demandées par Lionne. Mais, dans ses prévisions, Coloma avait oublié la seule chose qu’en effet les hommes négligent de prévoir, sa propre mort. Il mourut subitement et avant l’accomplissement du mariage. « Cette mort, écrit Lionne, arrivée peut-être par un effet de la bonté divine qui a voulu prendre en sa protection le droit d’une princesse mineure, lui a acquis l’avantage que par les propres termes de son contrat la nullité de sa renonciation ne peut plus être révoquée en doute, ce qui sans doute n’aurait eu garde d’arriver si don Pedro Coloma eût vécu assez longtemps pour pouvoir faire remarquer aux autres ministres, qui n’y ont pas songé, de quelle importance était la ponctuelle exécution de ladite clause[2]. » Ils y songèrent si peu que le premier paiement, qui devait se faire la veille des épousailles, n’eut pas lieu, et le lendemain Lionne se réjouit de cet oubli avec Mazarin, en lui faisant observer que par ce fait seul la renonciation de Marie-Thérèse était nulle. Certes la mort de Coloma avait aidé beaucoup au succès de la ruse de Lionne, mais Lionne n’en a pas moins le mérite d’avoir imaginé une combinaison, résultat d’une telle prévoyance qu’on peut sans exagération y voir un trait de génie.

Des deux enfans mâles qu’avait eus Philippe IV, l’un mourut en très bas âge; l’autre était sans cesse malade. Sa mort aurait fait de Marie-Thérèse l’héritière légale de la monarchie espagnole. Aussi l’ambassadeur de France à Madrid, l’archevêque d’Embrun, tenait-il sans cesse Louis XIV au courant des crises diverses que traversait le royal enfant. Parmi les cérémonies religieuses que cette cour dévote multipliait pour appeler la protection divine sur ce prince si précieux, il en fut une à laquelle l’ambassadeur français se vit contraint de présider lui-même. « Je fis, écrivit l’archevêque[3], les prières publiques pour le roi d’Espagne, la santé du prince et toute la famille royale, n’oubliant pas toutefois de prier secrètement, comme je suis obligé, pour la prospérité de votre majesté. » De ces doubles prières adressées par le même prélat et tendant à deux buts bien opposés, puisque les prières à haute voix demandaient le rétablissement du prince et les prières secrètes demandaient

  1. Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. Ier, p. 45.
  2. Idem, p. 46.
  3. Lettre (le l’archevêque d’Embrun, ambassadeur de France en Espagne, du 20 octobre 1661.