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et non selon des besoins identiques, il eût été impuissant pour prévaloir, ou du moins pour assurer sa durable domination. C’est l’unité monarchique qui a conduit à l’unité nationale, et, quand on considère la longue et victorieuse lutte soutenue par la royauté contre les feudataires des campagnes, les ultramontains du clergé, les ambitieux de la noblesse, les légistes des parlemens, quand on voit peu à peu succéder à l’isolement des provinces leur dépendance étroite, aux pouvoirs particuliers et un peu désordonnés un pouvoir général, aux classes une nation, on ne peut s’empêcher de remarquer que, si les grands ouvriers de cette œuvre colossale ont été les artisans consciens de l’unité territoriale, ils ont été aussi les préparateurs involontaires de la révolution. En 1789, un nouveau principe a prévalu, celui de la souveraineté nationale, principe réparateur qui, après avoir subi des éclipses plus ou moins prolongées, tend enfin à l’emporter définitivement; mais il est juste de reconnaître que cette souveraineté nouvelle a trouvé préparés ses principaux instrumens. La grande, la salutaire action démocratique s’est exercée sur un sol dont les morceaux avaient été conquis un à un et soudés l’un à l’autre par la monarchie.

La dynastie capétienne a mis sept siècles à parcourir cette route qui a pour points de départ Paris et Orléans, et pour points d’arrivée l’Océan, les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes et le Rhin. Sur cette route, elle a rencontré bien des obstacles et soutenu bien des luttes contre ceux aux droits desquels elle attentait. La minorité de saint Louis, la folie de Charles VI, la captivité du roi Jean, la jeunesse de Charles VII, la faiblesse de Charles IX et d’Henri III, les minorités de Louis XIII et de Louis XIV, furent de naturelles occasions de soulèvement, saisies avec empressement tantôt par les grands feudataires, tantôt par les villes, enfin par le parlement; néanmoins la dynastie finit toujours par l’emporter. Elle suspendit parfois sa marche, mais pour la reprendre bientôt, car l’œuvre qu’elle accomplissait était de nécessité supérieure. Vers le milieu du XVIIIe siècle, les classes étaient soumises, les races diverses fondues, l’unité de langue obtenue. Il existait dès lors entre le Rhin et les Pyrénées un grand peuple qui, s’étant trouvé en communication constante avec les autres nations, avait reçu par ce contact fécond toutes les idées du dehors aussi facilement qu’il avait déposé au-delà de ses frontières les germes de ses propres découvertes. En relation avec les Italiens, les populations germaniques et les Arabes sous Charlemagne, avec l’Orient pendant les croisades, avec les Anglais, les Espagnols, les Flamands, les Autrichiens durant de longues guerres, le peuple français, constamment jeté d’une route dans une autre, avait acquis, grâce à sa position géographique et aux entreprises