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REVUE. — CHRONIQUE.


bien supérieurs à ceux dont disposaient les Assyriens, ces inventions asiatiques se perfectionnèrent ; la mesure dans laquelle elles pouvaient s’adapter à la construction grecque, les règles auxquelles la raison et le goût en soumettaient l’usage, furent reconnues, et il résulta de tout ce travail la création d’un ordre particulier d’architecture qui prit à juste titre, des lieux où il s’était constitué, le nom d’ordre ionique. » C’est donc en Asie-Mineure qu’est né cet art admirable qui devait produire en Grèce tant de chefs-d’œuvre : pour être sûr de le bien comprendre à Athènes, où il atteignit sa perfection, il est utile de l’étudier d’abord dans le pays ou il s’est formé. Cette raison a déterminé M. Rayet à explorer la vallée du Méandre, où se trouvent les ruines de tant de villes importantes. La libéralité de MM. Gustave et Edmond de Rothschild, qui honorent leur fortune par l’usage qu’ils savent en faire, lui en a fourni les moyens. Aidé par un jeune architecte de l’école de Rome, M. Albert Thomas, il a exploré ce qui reste des villes de Priène, de Tralles, de Myonte, de Magnésie, déblayé une partie du sol de Milet et d’Héraclée. Pour se convaincre que ces fouilles ont été fécondes, on n’a qu’à visiter les salles du Louvre qui font suite au musée assyrien et qu’on vient récemment de rouvrir. On y verra d’admirables débris du temple d’Apollon Didyméen, rapportés à grand’peine par M. Rayet et que MM. de Rothschild ont libéralement donnés à l’état ; ce sont des bas-reliefs, des chapiteaux de pilastres, couverts des plus élégantes sculptures, et des bases de colonnes dont la hauteur devait dépasser d’un bon tiers celles de la Madeleine. Ces vastes proportions ne sont pas ordinaires aux monumens grecs ; celui-là causera certainement aux visiteurs autant de surprise que d’admiration. Ce sera pour beaucoup de curieux la révélation d’un art dont ils n’avaient pas l’idée.

La première livraison du voyage de M. Rayet contient la description de la vallée du Méandre et du vilayet d’Aïdin. Aïdin est une des villes les plus importantes de l’Asie-Mineure, qui fait encore, comme au temps de Dioclétien, le commerce des cuirs et des tapis. M. Rayet nous en dépeint avec beaucoup d’agrément le site pittoresque ; il nous fait pénétrer dans les divers quartiers de la ville : c’est d’abord la grande rue « sale et boueuse, bordée des deux côtés de maisons noires et gluantes, » où habitent les juifs ; puis, sur la croupe de la colline, la vieille cité occupée par les musulmans, avec ses mosquées, ses konaks et son bazar. En face, deux faubourgs, plus propres et mieux bâtis, appartiennent aux Arméniens et aux Grecs. Tout ce monde est occupé d’affaires, et tandis qu’on fabrique des selles de maroquin avec des brides de soie rouge pour les beys ou les pachas et des tapis pour les grands magasins de Paris, on ne songe guère à se souvenir que la ville moderne est construite sur l’emplacement d’une ville ancienne, qui fut plus riche encore et plus importante, et qu’on regardait comme une des