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ignorent le supplice et les écœuremens auxquels se condamne un pauvre homme qui s’est mis en tête de devenir un des quarante. Et qui peut répondre de soi et de sa vertu ? Qui peut dire : Je suis à l’abri de cette fureur ? Tel homme d’esprit persifle aujourd’hui l’Académie, lui décoche force épigrammes, demain peut-être il se mettra en campagne pour solliciter ses suffrages. C’est vraiment la maladie française, et il faut croire que personne n’y échappe, puisque Piron lui-même en fut atteint. Il est vrai qu’elle ne put lui enlever sa gaîté. — « Mon discours est tout fait, disait-il au secrétaire qui devait le recevoir, et le vôtre aussi. Je me lèverai, j’ôterai mon chapeau, je dirai : Messieurs, je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait de m’admettre. Vous vous lèverez, vous ôterez votre chapeau, vous répondrez : Eh bien là, monsieur, en conscience, cela n’en vaut pas la peine. »

Pourquoi les récipiendaires feraient-ils étalage de leur reconnaissance ? Sont-ils même tenus d’en avoir ? Jadis l’abbé Cureau de la Chambre définissait l’Académie française « un corps glorieux et triomphant, revêtu de la pourpre des cardinaux et des chanceliers, protégé par le plus grand roi de la terre, rempli des princes de l’église et du sénat, de ministres, de ducs et pairs, de conseillers d’état, qui, se dépouillant tous de leur grandeur, se trouvaient heureusement confondus pêle-mêle dans la foule d’une infinité d’excellens auteurs, historiens, poètes, philosophes, orateurs, sans distinction et sans préséance. » Parlons sans emphase et laissons au bon abbé ses hosannas et sa trompette. Dans tous les temps, il y a eu parmi les quarante des hommes considérables par leur nom, par leur naissance, par leur situation, par leur génie ou par leur talent. Si ces hommes n’étaient pas de l’Académie, l’Académie ne serait rien du tout ; en revanche, certains hommes seraient bien peu de chose, s’ils n’étaient pas académiciens. Mais les uns comme les autres, ceux qui donnent du lustre à l’auguste compagnie comme ceux qu’elle met en lumière, peuvent se dispenser de la remercier longuement de la faveur qu’elle leur a faite. En est-il un seul assez naïf pour se figurer qu’on l’a élu pour lui être agréable, à la seule fin de lui faire plaisir ? L’Académie n’est pas une société de bienfaisance, l’Académie est une école de haute politique, et ses choix sont toujours le résultat de profondes combinaisons, dont le secret échappe à l’intelligence du vulgaire. — « J’aurai mon jour, nous disait un candidat malheureux, plusieurs fois éconduit ; tôt ou tard on aura besoin de moi pour faire pièce à quelqu’un. » M. Sardou n’a pas eu besoin de frapper deux fois à la porte, son premier appel a été entendu ; il a mené sa campagne avec autant d’adresse qu’il en met à débrouiller au moment décisif l’intrigue compliquée de ses plus savantes comédies. Et pourtant ce n’est ni à son habileté, ni à ses titres incontestables, ni à son grand talent que cet homme heureux a dû son succès ; lui aussi a été élu pour faire pièce à