Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que l’état se charge d’en fabriquer, et pour mesurer la quantité qui doit être nécessaire, il n’a pas besoin de consulter l’état du commerce et de l’industrie, ce qu’est toujours un baromètre incertain ; il n’a qu’à prendre pour base le chiffre de la population, en rapprochant le nombre des enfans nouveau-nés de celui des décès. » Et il y eut une majorité dans la silver-commission pour voter ces conclusions du sénateur Jones. Voilà où l’on en est aux États-Unis.

Du reste, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, le célèbre Law avait déjà dit en 1720 : « La valeur des choses varie pour deux causes principales : la plus ou moins grande abondance des produits, et la plus ou moins grande abondance de la monnaie. De ces deux causes, l’une échappe à l’action de l’homme, tandis que l’autre peut être soumise à son empire. Il ne dépend pas de l’homme que la quantité de blé ou de vin, etc., se maintienne toujours en équilibre avec les besoins, mais il dépend de lui que la somme de la monnaie demeure toujours dans un juste rapport avec la demande, pourvu que cette monnaie n’ait pas de valeur intrinsèque, et qu’elle ne consiste pas dans l’or et dans l’argent. » Le sénateur Jones ne diffère que sur un point avec son illustre prédécesseur ; au lieu de prendre pour base de l’émission du papier-monnaie les besoins du commerce, ce qui en effet est difficile à déterminer, il la règle sur l’état de la population, c’est plus simple et plus facile. Au fond, la théorie est la même. Il faut que la société trouve toujours, à défaut de monnaie métallique, un instrument de circulation suffisant pour ses besoins. On n’indique pas quel moyen on aura pour maintenir le papier au pair ; c’est un détail dont on ne juge pas à propos de se préoccuper. On comprend qu’indépendamment des intérêts particuliers, dans cette disposition d’esprit et avec une telle théorie financière, émanant d’une commission formée au sein du premier corps de l’état, il n’était pas difficile de trouver aux États-Unis une majorité très forte pour voter le Bland-bill ; il a donc, je le répète, été adopté, et il s’agit maintenant de le mettre en pratique. Ici les difficultés commencent. D’abord les banquiers des états de l’est, qui auront plus ou moins à souffrir de cette mesure, ont dressé une liste noire où figurent les noms des principaux personnages de l’ouest et du sud qui ont favorisé le Bland-bill : ils sont décidés à leur fermer leurs caisses et à leur refuser toute espèce de crédit. Or, comme le commerce de l’ouest et du sud ne sa fait en grande partie qu’avec des capitaux empruntés à New-York ou dans les grandes villes de l’est, la situation des premiers états va se trouver fort embarrassée, et, si les banquiers reviennent sur leur décision, ce sera, bien entendu, à la condition de faire courir aux emprunteurs tout le risque qui peut résulter de la monnaie d’argent.