Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arches régulières, leur surface de niveau, tous suivis ou précédés de rues larges et droites plantées d’arbres, sont l’œuvre d’une école dont on ne peut contester le mérite. On l’appréciera davantage en étudiant l’histoire d’un de ces ponts, de celui de Moulins par exemple. Colbert en avait fait établir un qui ne dura que dix ans, bien qu’on n’y eût pas épargné la dépense. Hardouin-Mansard, le célèbre architecte, fut alors chargé de dresser un nouveau projet ; à peine la dernière pierre était-elle posée que deux arches furent emportées par une crue. En 1752, l’ingénieur Regemorte entreprit de recommencer. Par malheur, l’emplacement naturel de ce pont était dans un endroit où le courant, resserré entre la ville de Moulins et l’un de ses faubourgs, acquérait une force extraordinaire. Regemorte eut recours à un moyen radical qui fut de raser partie du faubourg pour élargir le lit de la rivière. Le succès fut complet, mais la dépense atteignit 2,300,000 litres, dont les quatre cinquièmes à la charge des généralités de Tours, Orléans, Riom, Bourges et Moulins, le reste étant payé sur les fonds du trésor. Vers le même temps, De Voglie, ingénieur de la généralité de Tours, inaugurait à Saumur, sur les conseils de Perronet, la méthode de fondation par caisson étanche sur pilotis, ce qui fut un progrès considérable, car les fondations par batardeaux entraînaient des lenteurs fâcheuses sur un fleuve aussi capricieux que la Loire. Depuis lors, il n’y eut plus de progrès important jusqu’à l’invention toute récente de piles en tubes métalliques à l’intérieur desquelles les ouvriers descendent dans l’air comprimé. Il serait long d’énumérer toutes les œuvres remarquables dues au talent des ingénieurs de l’ancien régime. On ne peut toutefois passer sous silence l’ouvrage capital de Perronet, le pont de Neuilly, dont le décintrement fut l’occasion d’une sorte de fête publique. Louis XV y assistait, accompagné du corps diplomatique et de toute la cour. Bien que le débouché en ait été mal calculé, puisqu’une île s’est formée par atterrissement au devant de l’arche du milieu, ce monument témoigne de la perfection que l’art de construire avait atteinte au XVIIIe siècle.

Quel jugement convient-il, en résumé, de porter sur les voies de communication antérieures à la révolution ? Habitués que nous sommes à des voyages rapides, il nous est difficile d’apprécier à leur juste valeur les efforts de nos aïeux. Consultons plutôt un contemporain, non pas un Français ; quelque judicieux qu’il soit, outre que les élémens de comparaison lui font défaut, il aura sur les routes, les ponts et les corvées les préjugés de sa classe, condamnant le travail gratuit et obligatoire s’il est du parti des philosophes, la conversion de la corvée en impôt territorial s’il est homme de robe, décidant tout du point de vue administratif s’il est intendant. Arthur Young, qui parcourait la France à petites journées