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de Daniel Trudaine, survenue en 1769, son fils Trudaine de Montigny, qui était associé depuis longtemps à ses fonctions, en eut la survivance. Il ne se retira qu’en 1777, à l’avènement de Necker. Deux maîtres de requêtes au conseil du roi, De Cotte et Chaumont de la Millière, lui succédèrent jusqu’à la révolution, qui modifia brusquement l’organisation du royaume. Mais ces changemens étaient secondaires, parce que l’œuvre de Daniel Trudaine suffisait à tous les besoins. Le nombre des ingénieurs s’accroissait à mesure que les travaux acquéraient plus d’importance, les emplois vacans étaient dévolus aux élèves de l’école dirigée par Perronet.

L’emploi arbitraire des hommes de la campagne sur les routes pendant plusieurs jours chaque année avait mis une ressource inépuisable entre les mains des ingénieurs. Il y eut sans contredit, au début surtout, un prodigieux gaspillage des forces vives de la nation ; en fin de compte, c’est sous le règne de Louis XV, personne ne l’ignore, que furent ouvertes toutes les grandes routes de France. À cette époque aussi remontent les décisions de principe qui régissent encore la voirie. Les chemins du royaume sont classés par catégories suivant l’importance du roulage qui s’y opère. Des arrêts du conseil établissent les droits et les obligations des entrepreneurs de travaux publics et règlent la police du roulage. Des plans dressés par le bureau des dessinateurs sous la surveillance de Perronet fournissent des titres authentiques pour combattre les anticipations des propriétaires riverains. Parmi les nombreuses instructions envoyées de Paris aux ingénieurs des généralités, il y en a deux qui méritent une mention spéciale. C’est d’abord de tracer les grands chemins « du plus droit alignement que faire se pourra, » ce qui donna aux routes de ce temps un caractère de grandeur, bien que ce fût incompatible avec l’adoucissement des pentes, que la circulation rapide réclame aujourd’hui de préférence à l’abréviation du parcours. En second lieu, ce fut l’obligation imposée aux propriétaires des terrains traversés de planter des arbres à distance régulière de l’un et l’autre bord. On ne l’avait prescrit d’abord qu’en vue de multiplier les essences de bois utiles ; on s’aperçut bientôt que ces longues avenues d’arbres ne nuisent pas au bon entretien de la chaussée, qu’elles protègent le voyageur en été contre les ardeurs du soleil, qu’elles le guident pendant la nuit ou par les temps de neige.

Si la corvée permit d’ouvrir avec peu d’argent six mille lieues de routes que les étrangers admiraient, ce régime, auquel le contribuable ne se prêtait que de mauvais gré, ne fut pas favorable, il faut bien le dire, aux progrès techniques de la voirie. La corvée ne fournissait qu’une main-d’œuvre intermittente ; il était impossible de lui demander l’entretien quotidien, qui est devenu la