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du royaume, protestèrent contre l’édit avec une énergie que le bien public ne leur inspirait point. Il est pénible en vérité de voir avec quelle ardeur les privilégiés du rang et de la fortune combattirent en cette occasion pour le maintien d’un impôt inique qui « enlevait à des malheureux, au profit des propriétaires, le fruit légitime de leurs sueurs et de leur travail. » Il serait hors de propos de raconter ici la lutte entre Turgot et les parlemens. Louis XVI sacrifia son ministre ; en même temps était remise en vigueur, sans qu’il fût besoin de le dire, cette odieuse corvée dont on avait annoncé l’abolition avec fracas trois mois auparavant.

Cependant l’édit de 1776 avait eu trop de retentissement, la population des paroisses rurales en avait pris trop bonne note pour qu’il fût possible de rétablir comme devant le travail gratuit et obligatoire des grands chemins. Les ingénieurs se trouvèrent dans un grave embarras pour l’entretien des routes déjà exécutées, dans un plus grave encore pour la construction de nouvelles routes. Ici l’on y pourvut sur les fonds du trésor royal, ailleurs par un impôt réparti suivant la méthode que Fontette avait introduite en Normandie, ailleurs encore par des impositions locales. Cette dernière ressource fut employée de préférence dans les généralités où se faisait l’essai d’assemblées provinciales. Le gouvernement hésitait entre ces solutions diverses : chaque nouveau contrôleur-général, — et ils se succédaient à bref délai dans ce temps de pénurie, — interrogeait les intendans, faisait une enquête, suivant l’expression d’aujourd’hui. Enfin, en 1786, un édit, imité de celui que Turgot avait fait rendre dix ans plus tôt, transformait la corvée en contribution pécuniaire. Quelques parlemens protestèrent encore, mais avec moins d’acrimonie, car l’esprit public s’était modifié. L’assemblée des notables vint trancher souverainement la question ; elle décida la conversion de la corvée en prestation pécuniaire sous la condition expresse que les assemblées provinciales fussent chargées à l’avenir de la confection et de l’entretien des chemins et grandes routes. Quelques personnes pensent encore maintenant que cette solution était alors et serait aujourd’hui la plus raisonnable. Les assemblées provinciales furent emportées par la révolution, la corvée ne pouvait plus reparaître : les voies de communication de tout genre restèrent à la charge des provinces, puis des départemens, ou furent abandonnées sans entretien ni soins.

Au milieu de toutes ces tribulations administratives, le corps des ponts et chaussées avait conservé les habitudes de savoir et d’honnêteté que ses fondateurs lui avaient voulu donner. S’il y eut des abus dans les appels des corvéables, des extorsions commises par les agens subalternes, du moins les ingénieurs ne furent jamais accusés d’en être coupables ou complices. À la mort