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populations se soumirent de bon gré au régime que Fontette avait établi. On lui découvrit même tant d’avantages que d’autres intendans s’empressèrent de l’imiter.

Vers cette même époque, Turgot venait d’être nommé intendant de la généralité de Limoges. De Tourny, dont le nom reste attaché dans cette ville aussi bien qu’à Bordeaux, où il fut envoyé par la suite, à des travaux d’amélioration municipale, l’y avait précédé et y avait employé la corvée sans mesure. Les grandes routes de la province avaient été commencées en beaucoup d’endroits à la fois, sans plan d’ensemble, probablement faute d’ingénieur capable de préparer les projets ; il avait fallu renoncer aux projets ébauchés, surtout par la raison que le sol montueux du Limousin ne se prêtait pas aux tracés rectilignes, qui étaient le dernier mot de l’art en ce temps. Les paysans étaient rebutés, plus encore que dans les autres parties du royaume, de perdre leurs journées à des travaux dont il leur revenait si peu de profit. La corvée ne se faisait plus qu’avec mollesse ; elle suffisait à peine pour l’entretien des voies principales. Les convictions économiques de Turgot ne s’arrangeaient pas d’un impôt si mal réparti ; à son avis, le paysan ne devait rien faire à titre gratuit. Quoique le contrôleur-général, qu’une si grande réforme effrayait, ne l’écoutât guère, il envoyait l’un après l’autre des plans de réforme. À l’imitation de ce qu’avait fait Fontette, il voulait convertir la corvée en une tâche proportionnée à la taille ; les paroisses situées à proximité des routes s’en acquitteraient en nature ; elles en feraient même plus que leur part, mais les corvéables seraient payés pour ce supplément, les autres paroisses s’acquitteraient en argent. Comme il avait su gagner la confiance du clergé et des paysans, il ne lui fut pas difficile d’obtenir l’acquiescement des assemblées communales à cette manière de faire. D’ailleurs les cours des aides et les parlemens ne lui étaient pas hostiles. Il sut donc tourner les obstacles auxquels s’était heurté l’intendant de Caen. Restait l’objection déjà citée et fondée sur la crainte légitime que le gouvernement n’accaparât pour ses besoins ordinaires l’imposition représentative de la corvée. Turgot conseillait, pour éviter ce détournement, d’assimiler les travaux des routes à ceux des églises ou des presbytères, dont il n’y avait pas exemple que l’autorité royale eût détourné les fonds. Si bien combiné que fût le projet, le contrôleur-général ne consentit pas tout de suite à le faire approuver par un arrêt du conseil, et néanmoins Turgot le mit à exécution. Les administrateurs provinciaux jouissaient vraiment de singulières immunités au XVIIIe siècle. Trois années durant, Turgot se donna la licence de, remanier le plus considérable des impôts de répartition sans y être