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voisines. Beaucoup d’ingénieurs avaient proposé cette réforme ou d’autres équivalentes. Le croirait-on ? l’objection principale à une réforme dont personne ne contestait la nécessité c’était une défiance trop justifiée envers l’autorité royale. Que l’on convertisse la corvée en impôts, disait-on, le produit en entrera dans le trésor royal, qui a bien d’autres soucis que les routes ; et, comme les chemins ne se construiront ni ne s’entretiendront plus, l’impôt restera, la corvée sera néanmoins rétablie.

Cependant plusieurs intendans entreprirent d’organiser l’entretien des chemins sur une base plus équitable. À l’inverse des administrateurs de nos jours, ils restaient longtemps dans la même province, ils en connaissaient les ressources, les besoins ; il leur était loisible de suivre plusieurs années durant les effets d’une réforme. Celui de Caen, Orceau de Fontette, imagina de décider que la tâche serait dorénavant proportionnelle à la taille de chaque paroisse et non plus au nombre des corvéables. En outre, il réduisit tellement le délai d’exécution que la plupart des communautés se virent obligées de faire faire leur tâche par un entrepreneur désigné d’avance. Par ce moyen, la corvée se transformait en un impôt pécuniaire dont le produit, au lieu d’être versé au trésor, allait droit à l’entrepreneur ; il n’y avait donc pas à craindre que le gouvernement s’en emparât pour acquitter des dépenses d’autre nature. Même, comme la Normandie est un pays riche où les chemins sont séparés par de faibles distances, toutes les paroisses étaient atteintes à peu près de la même façon. Néanmoins, il y avait au fond de ce système une réforme radicale qui devait soulever l’opposition des classes privilégiées. La corvée devenait un impôt proportionnel aux facultés et non plus aux forces des contribuables. Les taillables riches avaient à supporter ce dont les pauvres étaient soulagés. Ceci se passait en 1760 ; la France, obérée par la guerre de sept ans, était si malheureuse qu’une circulaire du contrôleur-général avait prescrit de suspendre les travaux des routes. Il y eut des plaintes qui, émanant de cultivateurs aisés, furent plus aisément entendues. La cour des aides et le parlement de Rouen condamnèrent ces levées de deniers sans autorisation légale « sous prétexte de réparations et établissemens de chemins. » Il n’était pas rare à cette époque que les parlemens se missent en hostilité contre les intendans, en qui les magistrats, possesseurs de leur office, ne voulaient voir que de simples commis. Le remède était toujours le même ; un arrêt du conseil royal cassait les délibérations du parlement, et les troupes réparties dans la province donnaient au besoin l’appui de la force aux injonctions des intendans. C’est ainsi que les choses se passèrent cette fois encore en Normandie. Au surplus, comme les routes étaient nécessaires, les