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fournies par le travail gratuit des paysans reçurent une organisation régulière. On avait déjà des ingénieurs expérimentés. D’abord en Alsace, puis successivement dans les généralités de Soissons, de Metz, de Châlons, et peu à peu dans tous les pays d’élections qui étaient régis par l’administration centrale, de 1717 à 1738, la corvée des grands chemins fut établie. Cela se fit sans vue d’ensemble, peu à peu, par décision de chaque intendant. Pour créer le moindre impôt pécuniaire, il fallait en ce temps un édit enregistré au parlement ; pour cette nouvelle charge, dont le poids fut bientôt intolérable, il n’y eut pas même un arrêt du conseil du roi, les instructions ministérielles y suffirent ; elle ne pesait, il est vrai, que sur les habitans des campagnes, auxquels personne ne s’intéressait plus depuis que les seigneurs avaient pris l’habitude de vivre à la cour. La corvée ne fut mise en vigueur ni dans les villes, où les corps de magistrature y auraient fait attention, ni autour de Paris, parce que les plaintes trop vives seraient arrivées jusqu’au roi. Le clergé en était exempt aussi bien que la noblesse. Ajoutons pour la moralité de ce récit que les seules provinces qui y échappèrent furent les pays d’état, où l’administration était soumise au contrôle d’assemblées périodiques, et pourtant ces provinces eurent aussi de belles routes.

Il est utile d’examiner de près la corvée des grands chemins pour apprécier les ressources qu’elle a pu fournir aux ingénieurs et la charge onéreuse qu’elle a été pour les populations rurales. En principe, était corvéable tout homme assujetti à l’impôt de la taille, d’âge et de force à travailler, ce qui comprenait tous les vilains depuis seize ans jusqu’à soixante. Un règlement de 1738 prend soin d’observer que les fermiers, métayers, laboureurs des ecclésiastiques et des gentilshommes y doivent être employés aussi bien que ceux des simples bourgeois. Sont en outre requises toutes les bêtes de somme ou de trait appartenant aux corvéables. Au commencement de l’année, le syndic de chaque communauté fournit à l’intendant le dénombrement des forces de sa paroisse, c’est-à-dire la liste des individus et des animaux qui peuvent être assujettis au travail des routes. L’ingénieur divise alors la besogne à faire dans l’année en tâches proportionnelles aux forces de chaque communauté ; puis, par l’intermédiaire de l’intendant et du subdélégué, les ateliers sont convoqués à jour fixe, en avril ou en mai de préférence ou encore à l’automne, autant que possible aux époques où les paysans ne sont occupés chez eux ni par les semailles ni par la récolte. Il est recommandé de ne pas envoyer les corvéables à plus de quatre lieues de leur village ; pour les plus éloignés, l’inconvénient de la distance est compensé par une légère réduction de la tâche à exécuter. S’ils ne peuvent retourner le soir chez eux,