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extérieur de ces tristes asiles qu’à celui de l’organisation du service de police et de surveillance.

La surveillance des garnis est organisée d’une façon absolument différente à Paris et à Londres. À Paris, la surveillance est exercée au point de vue de la police ; à Londres, elle est exercée au point de vue de l’hygiène. Les teneurs de lodgings doivent être munis d’une licence qui ne leur est accordée qu’après la visite préalable du local qu’ils se proposent de louer. Chaque pièce est cubée, et le nombre de lits que chacune peut recevoir est calculé d’après la capacité cubique, suivant que la pièce doit servir d’habitation seulement pendant la nuit, ou de jour et de nuit. Les murailles, planchers et plafonds doivent être blanchis tous les six mois ; l’eau doit être fournie en abondance. Pour assurer l’exécution de ces prescriptions, un tableau portant l’indication du nombre de pieds cubiques et du nombre de lits que chaque salle peut recevoir est affiché dans un endroit apparent, ce qui permet à l’inspecteur de s’assurer d’un coup d’œil si la salle ne contient pas plus de lits qu’elle n’en doit régulièrement contenir. Il en résulte que, dans ces garnis, dont la plupart sont à three pence la nuit, l’entassement des dormeurs n’est point, relativement parlant, trop grand, et que ceux-ci se trouvent au point de vue de la ventilation et de l’hygiène dans des conditions tolérables. Par contre, aucune surveillance n’est exercée sur la population qui fréquente ces garnis. Le logeur n’est astreint à tenir aucun livre d’entrée ni de sortie, et, au point de vue des investigations dont il pourrait être l’objet, chacun des habitans passagers du garni est aussi en sûreté qu’il pourrait être chez lui. J’en ai eu une preuve assez curieuse. Dans la salle commune d’un de ces lodgings où j’étais entré avec un inspecteur, une femme (si ce nom peut encore être donné à une malheureuse créature dégradée par la débauche et l’ivresse) s’avisa d’entonner en notre honneur un air national et tout plein d’actualité : the British man of war. Tandis qu’elle chantait et que la population avinée du garni répétait le refrain avec enthousiasme, je remarquai sur un banc une toute jeune fille qui n’appartenait manifestement pas à la même catégorie que les autres femmes qui habitaient ce taudis. Blonde, fine, assez jolie et proprement mise, elle écoutait d’un air distrait, et ne prenait aucune part à la joie grossière qui l’environnait. D’où venait-elle ? Quelle série d’aventures l’avaient jetée dans ce triste lieu ? J’aurais eu la curiosité de le savoir ; mais l’inspecteur qui m’accompagnait ne se croyait évidemment en droit d’interroger ni elle ni le logeur sur les motifs de sa présence, ni même sur la date de son arrivée. Il me répondit par une conjecture, et nous dûmes sortir sans nous être enquis des circonstances qui l’avaient