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sans qu’aucune puissance humaine ait le droit de la leur disputer. Il y a là dans notre législation une lacune des plus graves, bien connue de tous ceux qui s’intéressent à la condition de l’enfance et qu’il ne faut jamais se lasser de signaler, parce qu’en France c’est au prix de beaucoup d’insistance que les réformes finissent parfois par s’obtenir.

Enfin ne faut-il pas attribuer en grande partie le vagabondage des enfans à la condition misérable de leurs parens et au peu d’attraits que présente pour eux le foyer domestique ? Celui qui est assuré de trouver en revenant de l’école un logis bien clos, une soupe bien chaude et un accueil affectueux, n’est guère tenté d’aller demander le vivre et le couvert aux hasards de la rue. Mais combien y en a-t-il pour lesquels le home n’est qu’une chambre sans air et sans feu où toute la famille est entassée pêle-mêle ! La vie du genre humain est devenue par le fait de la civilisation chose si complexe, si variée, qu’on a parfois peine à s’imaginer que dans un même temps, sous un même ciel, dans une même ville, à deux pas les uns des autres, des êtres semblables puissent vivre dans des conditions si différentes. Pour qui ne consacre point sa vie à l’exercice de la charité, rien n’est difficile comme de se faire une idée même incomplète de l’existence de ceux qui végètent dans les bas-fonds de la société. Je n’ai pu, en ce qui me concerne, essayer d’y parvenir que grâce à l’obligeant concours que j’ai rencontré dans l’administration de la préfecture de police, et c’est à ce concours que je dois d’avoir pu pénétrer dans l’intimité de certains détails de la vie parisienne. La police française n’a point cependant les habitudes de la police anglaise, dont les agens montrent pour quelque argent les misères de Londres aux étrangers de distinction, et ce serait vainement qu’on la fatiguerait par les demandes d’une curiosité banale ; mais, lorsqu’elle croit favoriser des études dont elle apprécie l’utilité, elle ne se refuse pas à mettre à votre disposition un personnel intelligent qui dans ses rangs les plus modestes est inaccessible, je ne dis pas à la corruption, mais à la récompense. C’est grâce à ce personnel que j’ai pu en particulier pénétrer quelque peu dans les mœurs de cette population flottante et nomade de la ville de Paris, qui, sans vivre précisément à l’état de vagabondage, n’a point cependant de domicile fixe et se voit réduite à chercher de droite et de gauche un abri pour la nuit. J’ai entrepris dans ce dessein la visite nocturne des garnis à la nuit les plus infimes et les plus mal fréquentés de la capitale. Quelque temps auparavant j’avais dans la même pensée entrepris à Londres une visite analogue, et peut-être trouvera-t-on quelque intérêt à un rapprochement entre ces deux vastes capitales, aussi bien au point de vue de l’aspect