Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à payer sa place au paradis d’un théâtre devant la façade duquel il aura longtemps stationné. Au printemps, il s’arrêtera comme nous dans les promenades publiques pour entendre la musique militaire, dont la vigoureuse harmonie fait déjà vibrer son petit être, et il n’aura guère de chance si un garçon bien vêtu, qui croque sa douzaine de plaisirs, ne lui en donne pas au moins un. Le dimanche, il se transportera à Auteuil ou à Longchamps pour offrir ses services à la sortie des courses, et il y rencontrera des compagnes de vagabondage qui y seront venues de leur côté pour vendre des roses ou des violettes. Combien y en a-t-il parmi ces petites filles qui, tout en courant, un bouquet à la main, après un de ces équipages dont leur expérience précoce sait parfaitement discerner la fausse élégance, envient ces existences faciles et rêvent aux moyens de se les procurer ! N’est-ce point en assistant, des fleurs à la main, les pieds dans la boue, au retour des courses de Vincennes, que celle qui devait comparaître au banc des assises sous le nom de la veuve Gras a conçu la première pensée de cette vie de désordre qui a fini par la conduire au crime ? L’été, lorsque les promenades publiques sont illuminées et retentissent des échos des cafés-concerts, l’enfant est encore là, tapi dans la verdure des massifs, ne perdant pas une note ni un mot des chansons graveleuses que des chanteuses aux épaules nues font applaudir par un public trop mélangé. C’est à cette chaude époque de l’année qu’il redoute le moins de passer la journée et même la nuit dehors. S’il faut diner, n’est-il pas assuré qu’en allant rôder à la porte des casernes vers l’heure ou l’on distribue la soupe aux soldats il obtiendra sa pitance de leur bonne humeur charitable ? S’il faut coucher, les bancs des promenades publiques, les arches d’un pont, les voitures de déménagement qu’on laisse dans la rue, lui offrent un gîte dont il sait se contenter, et il aime mieux courir le risque d’une nuit passée à la belle étoile que d’affronter la vigoureuse correction d’un père ou d’un patron irrité par deux ou trois jours d’absence. C’est dans ces asiles que les enfans vagabonds sont surpris par les agens, et le lendemain, après avoir achevé la nuit au poste, ils font leur première connaissance avec le dépôt. On donne immédiatement avis de leur arrestation aux parens, qui viennent presque toujours les réclamer et auxquels on les rend sans difficulté, en leur faisant promettre de les mieux surveiller une autre fois. Mais lorsqu’un enfant a été arrêté dans ces circonstances deux et trois fois, l’indulgence de la police se lasse, et elle traduit en justice l’enfant vagabond. C’est alors que commencent les mises en liberté prononcées par le magistrat instructeur, ou les acquittemens du tribunal, qui se laissera fléchir par les larmes de l’enfant ou par