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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

Malgré toutes les supplications dont il fut l’objet de la part de ses collègues, Jourde maintint sa démission, répétant à satiété qu’il ne lui convenait pas d’être le commis du comité de salut public, en d’autres termes, qu’il n’acceptait la responsabilité de ses fonctions qu’à la condition d’en avoir l’indépendance. Ce fut bien ainsi que sa retraite fut comprise ; aussi lorsqu’on alla aux voix pour lui donner un successeur, 38 votans sur 44 le renommèrent délégué aux finances. C’était le placer en dehors de l’action du comité de salut public et lui confier en quelque sorte la dictature financière de la commune. Son ambition était satisfaite ; il accepta, fort heureusement pour la Banque qu’il voulait ménager, ainsi qu’il l’avait dit très sincèrement, mais qu’il avait intérêt à ménager, car dans les cas difficiles, lorsque ses caisses étaient vides, lorsque les fédérés, à court d’eau-de-vie, réclamaient leur solde, lorsque la commune, s’inquiétant de la pénurie générale, menaçait de faire des réquisitions partout, Jourde allait rue de La Vrillière, y grappillait, après longues discussions, quelques centaines de mille francs, apparaissait à l’Hôtel de Ville, les poches pleines, comme le sauveur financier de la révolte, et consolidait de la sorte sa situation de délégué aux finances à laquelle il tenait plus qu’il ne voulait bien le dire. Il avait fini par se prendre tout à fait au sérieux, et un jour qu’il se complaisait à expliquer au marquis de Plœuc ses idées sur une nouvelle organisation du Mont-de-Piété, il lâcha ceci : « Je ferai mieux que mes prédécesseurs. » Ses prédécesseurs, c’étaient le baron Louis, M. de Villèle, M. Humann, M. Magne. — Cette foi en lui-même, que l’on pourrait proprement appeler de la vanité, maintint Jourde dans une voie moyenne et l’empêcha de tomber dans des excès où le parti résolument jacobin de la commune aurait voulu l’entraîner ; il résista par orgueil, par conviction, par probité, par tous ces sentimens à la fois sans doute, mais il résista, et s’il n’a pu faire le bien, ce qui était impossible dans une situation si complexe, il a souvent empêché le mal et il n’est que juste de lui en être reconnaissant. Pendant le mois d’avril, il n’a frappé sur la Banque que des réquisitions modérées, mais le mois de mai commence, le comité de salut public, bientôt modifié dans un sens terroriste, vient d’entrer en fonction, l’armée de Versailles pousse ses approches plus rapidement ; le péril va s’accentuer de jour en jour et tous les désastres sont à redouter. La Banque de France parviendra à s’y soustraire, mais à travers des péripéties que nous raconterons bientôt.