Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
539
LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

clés de sa caisse. À ce métier parfaitement désintéressé, il a perdu plus d’une fortune ; il ne sortait d’une ruine que pour tomber dans une autre ; ses combinaisons n’avaient guère d’autre but que le bonheur de l’humanité ; il voulait les mettre en pratique, commanditer la félicité universelle, et il arrivait souvent à la faillite. Dcati miséricordes ! Si l’intention est réputée pour le fait, le père Beslay fut héroïquement vertueux.

Malgré son âge, malgré de sérieuses infirmités, il avait conservé une sorte d’excès de jeunesse qui l’entraînait à des actions qu’un mobile très honorable empêchait à peine d’être excessives. Ainsi, en 1870, à la première nouvelle de nos défaites, il s’engagea dans le 26e de ligne, qui était en garnison à Metz, et, muni de sa feuille de route, voyageant par étapes, il s’en va le sac au dos, sans réfléchir qu’un homme de soixante-quinze ans est un embarras et non pas un secours pour une armée. Après Sedan, il signe mie adresse dont la naïveté mériterait un autre nom : « À la démocratie socialiste de la nation allemande. Proclamons : la liberté, l’égalité, la fraternité des peuples ; par notre alliance, fondons les États-Unis d’Europe. Vive la république universelle ! » Il rentra à Paris avant l’investissement ; pendant la période du siège, il écrit, il parle, il afliche ; il s’agite dans son propre vide, il fait des phrases et désarme tout le monde par son incomparable bonhomie. Dans les maladroits, les ambitieux trop pressés, dans les criminels même, il ne voit que des persécutés ; il ne sait refuser son nom à aucune sottise collective ; après la journée du 31 octobre, il proteste : contre les auteurs de ce forfait ? Non pas ; « contre l’incroyable violation de la liberté individuelle commise par les membres du gouvernement de la défense nationale en arrêtant, au mépris du droit et de la foi jurée, les républicains ayant pris part au mouvement patriotique du 31 octobre[1]. »

Il se présenta aux élections législatives du 8 février, et dans sa proclamation adressée aux travailleurs, aux petits industriels, aux petits commerçans, aux boutiquiers, il dit : « J’ai soixante-seize ans et malheureusement j’ai encore trop de vie, car je crains d’assister à la destruction finale de mon pays. » — Il put reconnaître depuis que ses amis de la commune ont, sans hésiter, fait ce qu’ils ont pu pour réaliser ses craintes. Il les a répudiés avec horreur ; comme son maître Proudhon, il a dit aussi son nescio vos ; il a écrit : « Je déclare bien hautement que je n’accepte, ni de près ni de loin, aucune solidarité avec les hommes qui ont brûlé Paris et fusillé les otages. » Mais il les avait suivis, sinon précédés, comme un aveugle

  1. Cette protestation est signée : Ch. Beslay, ancien représentant du peuple, Kin, monteur en bronze, Edm. Aubert, gazier, Lacord, cuisinier, Florent, mécanicien, Lacipia, étudiant, Chotet. Elle porte la date du 25 novembre 1870.