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REVUE. — CHRONIQUE.


Au résumé, Apollonius doit désormais prendre rang entre Héliodore et Longus ; s’il n’a pas été évêque comme le premier, ni traduit par un évêque comme tous les deux, du moins son œuvre est gracieuse autant que chaste, ingénieuse autant que judicieuse. De même que Daphnis et Chloé nous ont valu Paul et Virginie, je veux oublier Annette et Lubin de Marmontel, ainsi on dirait qu’Apollonius et Archistratis sont les ancêtres directs d’Héloïse et d’Abélard, de Julie et de Saint-Preux. Nous ne savons jusqu’ici de Longus que son nom et son ouvrage ; à l’avenir, nous saurons d’Apollonius son nom, son ouvrage, sa patrie, et qu’il vivait vers le commencement du Ve siècle de notre ère.

Plus heureux qu’Aristide, dont les romans furent traduits en latin par Sisenna, Apollonius a été interprété tour à tour en prose latine, en vers grecs, en vers latins et en vers anglais. À la différence de tant d’autres productions du même genre, celle-ci est excellemment morale et religieuse : elle est d’un bout à l’autre un saisissant et dramatique enseignement de la Providence et de la justice de Dieu. Aussi l’auteur, qui avait lui-même tracé de sa main deux exemplaires du récit de sa vie, put-il, sans profanation ni sacrilège, en déposer un dans le temple d’Éphèse.

Le héros et tout à la fois l’auteur de notre roman réunit dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines, la félicité sans mesure ainsi que les misères. Sa pénétration d’esprit et surtout l’aide de Dieu relèvent au comble des grandeurs et de la prospérité, d’où il tombe ensuite, sans s’y abîmer ni s’avilir, dans l’abaissement et l’infortune. — Apollonius épouse une princesse qui le choisit entre tous pour les dons de son esprit et de son cœur ; puis il s’embarque avec elle pour aller recueillir l’héritage d’une couronne. Pendant la traversée, Archistratis accouche, elle tombe en léthargie ; on la croit morte, on l’ensevelit et l’on jette à la mer son cercueil, que la vague déposera dans un instant sur la côte de Mitylène. Mais Apollonius confie Tarsia, l’enfant qui vient de naître, aux soins de Dionysias, chez qui elle restera jusqu’à l’âge de quatorze ans. Déjà la bière échouée sur le rivage attire les regards du médecin Céramonte ; il approche, fait ouvrir le coffre et s’aperçoit bientôt que la femme qu’il renferme n’a pas encore rendu le dernier souffle. Il réveille soudain un reste de vie, et celle qu’on tenait pour morte se réfugie à l’ombre de l’autel, dans le sanctuaire de la chaste Artémis. Cependant Tarsia grandissait dans la maison de Dionysias, qui avait elle-même une fille moins favorisée du côté des dons de la nature et jalouse pour cela de l’esprit et de la beauté de sa compagne. La mort de Tarsia est donc résolue par la mère de Philothémie ; mais au moment où la jeune fille allait périr sous le fer de Théophile, des pirates accourent, l’enlèvent et l’exposent en vente sur le marché de la ville voisine. Lénonius, un marchand d’esclaves, et le roi de la