Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps où nous n’étions pas aussi amis que nous le sommes aujourd’hui. » C’était le temps où, pour un mariage en Espagne, pour un prédicant agitateur et oublié de quelque île de l’Océan, des ministres anglais déchaînaient les passions de leur pays contre nous, allaient presque jusqu’à la guerre, et où à Paris aussi on chantait volontiers dans les opéras que jamais en France l’Anglais ne régnerait. Tout cela ressemble désormais à des souvenirs de la guerre de cent ans ; les haines d’autrefois sont éteintes, et le fils de la reine Victoria l’a dit avec raison, avec une intelligente cordialité : « Ce temps-là est bien passé et oublié. La jalousie qui était la cause de cette ancienne animosité a disparu, j’en suis certain, pour toujours, et je demeure convaincu que l’entente cordiale qui existe entre ce pays et le nôtre n’est pas de celles qui changent. » C’est qu’en effet il n’y a plus entre les deux peuples que des intérêts communs, des raisons d’amitié, d’estime mutuelle et ce que nous appellerons une solidarité européenne. L’Angleterre et la France, avec des génies différens, représentent la même civilisation libérale, occidentale, et, si les Anglais n’en sont plus à s’apercevoir que les malheurs de notre pays n’ont point tourné à leur profit, les Français sentent assurément aujourd’hui que l’énergie avec laquelle le gouvernement britannique s’est réveillé est la suprême garantie des droits, de la sécurité, de l’équilibre de l’Europe.

Quant à la république, elle n’est plus évidemment comme autrefois un obstacle, elle reste, si on le veut bien, un gouvernement comme un autre, capable de comprendre ses devoirs et de les remplir. Le prince de Galles, à ce qu’il nous semble, ne s’en est senti gêné ni dans ses goûts, ni dans sa dignité d’héritier d’une des plus vieilles, d’une des plus belles couronnes de l’univers. Il est reçu comme il doit l’être, avec une courtoise et respectueuse déférence, par M. le président de la république, par M. le commissaire-général de l’exposition, par M. le ministre des affaires étrangères, et le premier gentleman de l’Angleterre ne croit nullement déroger en recherchant l’entretien des chefs de la majorité républicaine du parlement. Les autres princes qui ont assisté à l’inauguration de l’exposition sont reçus comme le fils de la reine Victoria, et ceux qui viendront trouveront le même accueil dans le gouvernement, dans la population. L’hospitalité parisienne ne sera peut-être pas pendant quelques mois et par certains côtés une hospitalité écossaise, elle sera dans tous les cas digne de la France aussi bien que de ceux qui voudront voir de près ce spectacle d’une exposition grandiose et d’un pays résolu à ne pas s’abandonner après des désastres inouïs. Assurément tout est nouveau dans cette grande expérience nationale ; tout doit être bien changé pour qu’un prince de Galles puisse venir en pleine république témoigner ses sentimens d’amitié pour la France dans une circonstance solennelle.

Oui, tout est changé, et si ces faits sont le signe parlant des