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Bologne joue Lohengrin, où M. Cortesi donne à la Pergola de Florence sa Mariulizza, œuvre tout imprégnée de wagnérisme, où la Societa del quartetto di Milano se cotise pour envoyer l’orchestre de la Scala figurer à notre exposition nationale, cet Allemand retardataire qui manque le train baguenaudant devant la boutique de Donizetti ne laisse pas d’avoir sa physionomie particulière. Les musicologues de l’avenir trouveront chez M. de Flotow un sujet curieux et tout à fait digne de leur intérêt. Je les vois d’ici furetant, paperassant, découpant les vieilles gazettes et démontrant au besoin, à l’aide de ce qu’ils appelleront « leurs documens nouveaux, » comme quoi le compositeur de Martha, de l’Ombre et d’Alma l’Incantatrice, au lieu d’être simplement un phénomène isolé, fut au contraire le centre de toute une pléiade ; les noms du Prussien Nicolaï, l’auteur des Joyeuses Commères de Windsor, du Wurtembergeois Abert, l’auteur d’Astorga, d’autres encore seront invoqués, et peu à peu tout un groupe intime se formera, une chapelle dans la grande cathédrale de l’art de notre siècle, — la chapelle des bienheureux philistins !

On a beaucoup parlé du ténor Sellier avant ses débuts à l’Opéra, il est à craindre que maintenant on en parle moins. Des brillantes espérances conçues naguère au Conservatoire, il a fallu beaucoup rabattre ; l’acoustique a de ces mystères : dans la salle de la rue Bergère, c’était une grande voix promettant un chanteur de force, dans la salle de l’Académie nationale, transformation complète, plus de puissance, plus de timbre, de la grâce et par momens de la suavité, tout le contraire de ce qu’on s’imaginait ! Il dit agréablement la phrase amoureuse de son duo avec Guillaume-Tell au premier acte : O Mathilde, et manque le fameux Suivez-moi, où tout le monde l’attendait. Mais c’est surtout dans le trio du deuxième acte que se trahit l’insuffisance du chanteur en même temps que la gaucherie du comédien. La voix ne porte pas, le son, au lieu de s’épancher en larges nappes, sort petit, étranglé comme ces minces filets d’eau qui jaillissent de la pomme d’un arrosoir ; n’allons pourtant pas trop loin et gardons-nous de nous étonner qu’un jeune homme hier sur les bancs de l’école n’ait point su du premier coup se rendre maître d’un rôle qui depuis Duprez n’a plus trouvé son interprète et qu’avant Duprez Nourrit lui-même ne parvint jamais à mettre en pleine lumière. Nous ne voulons décourager personne, et, s’il n’y a malheureusement point sujet de crier au phénomène, encore est-ce quelque chose de pouvoir dire d’un débutant que sa présence ne nuit pas au bel ensemble de la représentation. M. Lassalle fait un excellent Guillaume-Tell, mais bien phraseur et bien académique. A peine le public commence-t-il à l’adopter, et déjà le voilà prenant ses grands airs et versant dans l’ornière de M. Faure. Au deuxième acte, pendant la scène des Cantons, sa pantomime pousse à l’emphase ; il arrondit ses gestes, s’appuie complaisamment sur l’épaule de Walther