Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personne ne connaît et qui, par le temps qui court et les administrations sans lendemain qui se succèdent, auront probablement disparu du théâtre de l’Opéra-Comique avant de trouver l’occasion de se signaler. L’Étoile du Nord atteignait à peine sa quatrième représentation que déjà l’héroïne de cette reprise, Mlle Cécile Ritter, épuisée de forces et de voix, demandait grâce et cédait la partie à Mlle Isaac, la Marguerite de la Damnation de Faust aux concerts populaires. Quelle mélancolique élégie, cette histoire de Mlle Ritter, détournée de ses études et prématurément poussée au théâtre, où l’attendaient des travaux et des fatigues au-dessus de son âge ! M. Thomas ayant trouvé dans Christine Nilsson son Ophélie, il fallait à M. Victor Massé sa Virginie ; or, à ce qu’il paraît, Mlle Ritter ressemblait beaucoup à la divine créole : mêmes traits, même gracilité adolescente, et, pour qu’elle lui ressemblât davantage encore, on l’aura noyée. Une fille à la mer, quel grand dommage ! Quand il s’agit de remporter une victoire, les musiciens sont des gens féroces, et Meyerbeer avait bien en cela le tempérament du métier. A ses yeux, les chanteurs ne sont que des soldats en campagne, et dans cette guerre du théâtre où la bataille gagnée importe seule, les voix cassées ne comptent pas ; il s’agit de monter à l’assaut du succès ; les honneurs et les gros traitemens à ceux qui survivent, et tant pis pour les maladroits qui restent en chemin. Laissons de côté Robert, Raoul, Jean de Leyde, ces rôles surmenés, écrasans, dont un chanteur, quel qu’il soit, a bien mérité quand on peut dire de lui qu’il va jusqu’au bout, et prenons ce personnage de Catherine dans l’Étoile du Nord. Vit-on jamais casse-cou pareil ? Passe encore pour ces luttes de rossignol, ces concertos alternés avec la flûte et tous ces interminables exercices de la virtuosité la plus raffinée ; mais comment vouloir ensuite qu’un organe si flexible, si léger, si fragile, friand à ce point de délicatesses et de mignardises, supporte le choc de l’orchestre le plus formidable et se prête à des situations dramatiques qui n’exigeraient rien moins que l’ampleur et la carrure d’une Gabrielle Krauss ? Car il y a de tout dans ce prétendu opéra-comique dont les ingrédiens pimentés et divers vous rappellent parfois une chanson de Piron sur la tragédie de Voltaire :

Que n’a-t-on pas mis
Dans Sémiramis !
Que dites-vous, amis,
De ce beau salmis ?

Le premier acte de l’Étoile du Nord est une idylle, le deuxième un chant de guerre et le troisième une berquinade sentimentale. « Si tu veux réussir à Paris, aie bien soin de te conformer au goût de la nation et d’écrire dans tous les styles. » Ce précepte, que le père de Mozart donnait à son fils dans sa correspondance et que Meyerbeer trop souvent eut le tort de s’appliquer, est en cette occasion vraiment pris au