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II

Tant que David travaille en Italie comme pensionnaire de l’Académie de France, ou tant qu’il reste, après son retour à Paris, sous l’empire des souvenirs et des enseignemens rapportés de Rome, il cherche et il réussit à associer en face de la nature son goût très vif déjà pour les vérités caractéristiques au respect des traditions qui l’obligent, au culte de ce beau dont l’antiquité lui a révélé les secrets. Comme Ingres, qui avait été son camarade à la villa Médicis, et dont il semble pendant toute sa jeunesse continuer, volontairement ou non, de subir l’influence, il n’hésite pas à interroger et à rendre avec une courageuse bonne foi les réalités qu’il a devant les yeux, mais à la condition de régler la vivacité de ses impressions ou d’en confirmer la justesse par l’étude des monumens grecs. C’est alors qu’après avoir envoyé de Rome ses Néréides et son Jeune Berger, qui semblent engager l’avenir de son talent et en fixer les promesses, il produit à Paris des œuvres d’une inspiration originale et en même temps d’une exécution sévèrement châtiée, les statues de Condé, de Bonchamps, du Général Foy, enfin ces deux élégantes figures sculptées en bas-relief autour d’un des œils-de-bœuf de la cour de Louvre, — l’Innocence et la Force ; mais déjà dans les œuvres qui suivent un commencement d’infidélité se fait sentir aux sages principes et à l’esprit de mesure qui avaient guidé l’artiste jusqu’alors. La crainte de paraître s’attarder, à la suite des classiques, comme on disait alors, dans une résistance bruyamment qualifiée d’obstination aveugle par les assaillans, le besoin de se montrer, coûte que coûte, homme de progrès et d’être novateur à son tour, — voilà ce qui ressort des travaux appartenant à l’époque qu’on pourrait appeler celle de la seconde manière de David : manière intermédiaire encore, qui, si l’on veut, ne dément pas formellement les inclinations et les coutumes premières, mais où plus d’un signe permet de deviner ce qui en sera ouvertement renié plus tard.

Qu’on se rappelle un des ouvrages d’ailleurs les plus justement célèbres du maître, le Philopœmen, qui, après avoir pendant longtemps orné le jardin des Tuileries, se voit aujourd’hui au musée du Louvre. Si, au lieu d’achever cette statue en 1837, David l’avait exécutée quelques années auparavant, se serait-il aussi résolument efforcé de lui imprimer un caractère naturaliste ? Sans doute ce naturalisme même a quelque chose d’héroïque ; sans doute, ici comme dans les statues de Puget, l’animation du travail, la fermeté magistrale du ciseau commandent l’admiration et prouvent chez l’artiste capable de vivifier ainsi le marbre une science et une